16 avril 2024

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L’instrumentalisation de la justice reprochée au président Macky Sall ne se fonde-t-elle pas sur un réel désir de troisième mandat ?

Sénégal : Une confusion bien entretenue

En politique, lorsque l’on estime avoir un destin national, il faut prendre garde aux attaques faciles contre la justice. Car, si l’on devient soi-même chef de l’État, l’on pourrait peiner à rendre à son peuple la confiance en cette justice que l’on aura contribué à discréditer.

Deux mois de prison avec sursis, 200 millions de francs CFA de dommages et intérêts. Contrairement à ce qu’il semblait craindre, Ousmane Sonko n’est pas écarté de la prochaine présidentielle par ce verdict. Au regard de l’émoi de ces dernières semaines, comment comprendre ce jugement, qui ne semble, d’ailleurs, satisfaire aucune des deux parties ?

Au-delà du jugement lui-même, ces tensions sans fin rendent totalement illisible l’échiquier politique sénégalais. Ces deux dernières années, ce pays vit en permanence des psychodrames artificiellement générés, sur la base de suspicions récurrentes : la première prête à l’actuel chef de l’État un désir de troisième mandat, et la seconde suggère que le meilleur moyen, pour lui, d’y parvenir, serait d’éliminer de la course celui qui se présente – et que certains présentent – comme un possible prochain président du Sénégal, en l’occurrence Ousmane Sonko.

Voilà comment deux dossiers qui n’auraient jamais dû quitter le strict périmètre judiciaire sont devenus une source permanente de crises, le justiciable Ousmane Sonko dénonçant sans cesse une instrumentalisation de la justice visant à le rendre inéligible. Beaucoup auraient souhaité que tous accordent à la justice une présomption de droiture, pour aller paisiblement au bout de chaque plainte, notamment celle de cette employée de salon de massage, qui accuse. La tournure politique prise par cette affaire n’a, pour le moment, permis de rien trancher. Le plus triste, en mars 2021, était de voir ces jeunes gens, fiers partisans d’Ousmane Sonko, affirmer, à visage découvert, être prêts à « mourir pour leur leader». Quel que soit le camp, en politique, au Sénégal, il y a trop de gens prêts à mourir pour leur leader, alors que ce serait tellement plus constructif, pour tous, de savoir mourir un peu pour la patrie.

L’instrumentalisation de la justice reprochée au président Macky Sall ne se fonde-t-elle pas sur un réel désir de troisième mandat ?

En quoi est-il indispensable, pour Macky Sall, d’écarter Ousmane Sonko, pour briguer un troisième mandat ? En dépit d’une opposition autrement plus forte et plus large, Abdoulaye Wade s’était présenté pour le troisième mandat, dont tous lui contestaient le droit. Le lien entre une éventuelle disqualification d’Ousmane Sonko et le sort de Macky Sall comporte sans doute des subtilités qui nous échappent… Par ailleurs, tout président qu’il était, Abdoulaye Wade avait été battu… par Macky Sall, justement. Les tensions, les destructions et même les morts, au nom de la méfiance vis-à-vis de la justice, tout cela laisse une impression de ce que les marxistes lusophones africains qualifiaient, dans les années 80, de confusionnisme.

Surtout que ces affaires relèvent de la vie privée du député, en l’occurrence. Les ramener sur le terrain de la manœuvre politicienne visant à empêcher « sa » candidature fait passer la plaignante par pertes et profits. Il a fallu ce dernier jugement, cette semaine, pour réaliser que la plainte du ministre du Tourisme n’a pas servi à écarter de la course un redoutable challenger.

En somme, laisser la justice passer peut aussi bien blanchir l’opposant. Est-ce bien cela ?

Sans compter que lorsque l’on estime avoir un destin national, il ne faut jamais oublier que l’on peut, tôt ou tard, devenir chef de ce même État. Et l’on aurait alors du mal à inspirer au peuple une confiance par rapport à cette justice que l’on aura contribué à discréditer, alors qu’elle sait aussi rendre des verdicts contraires à ceux que prédisent ses détracteurs.

Un dernier point. Le Nigeria vient d’organiser des élections générales, dont une présidentielle, à laquelle le président sortant, Muhammadu Buhari n’a pas pris part en tant que candidat, après deux mandats. Et, durant l’année qui a précédé cette présidentielle, personne n’a sommé Buhari de jurer qu’il ne sera pas à nouveau candidat. Un chef d’État n’a pas à dire qu’il ne fera pas ce que la Constitution de son pays lui interdit de faire. Lorsqu’il doit partir, il s’en va. Et c’est tout.

Et si la loi ne contraint pas Macky Sall à s’en aller, son peuple peut le faire partir par les urnes, s’il ne veut plus de lui. Mais, l’obliger à annoncer un, deux ans à l’avance qu’il ne sera pas candidat, est une façon de suggérer qu’il pourrait, s’il voulait. Sans compter que dans certains pays, un chef d’Etat qui passerait son temps à expliquer qu’il ne sera pas candidat, peut, vite, perdre son autorité sur des ministres en lutte pour la conquête de la place qui va se libérer.

Par :Jean-Baptiste Placca