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Manifestations en Haïti

Mobilisation en Haïti pour le départ d’Ariel Henry: «C’est comme si on luttait pour notre 2e indépendance»

Ce mercredi est le jour J. C’est le jour où Ariel Henry doit laisser le pouvoir. J’espère qu’il va entendre raison. Dans le cas contraire, la voix du peuple sera écoutée“, a affirmé à l’AFP un manifestant à Port-au-Prince, dans la capitale. Haïti est en ébullition : l’île est le théâtre de nombreuses manifestations demandant le départ du Premier ministre Ariel Henry. Il aurait dû en théorie le quitter ce mercredi 7 février, selon un accord politique signé en 2022.

Ces protestations ont causé la mort de cinq employés d’une agence de protection de l’environnement mercredi lors d’affrontements avec la police. “Le pays est pris en otage des gangs. On ne peut pas manger. On ne peut pas envoyer nos enfants à l’école […] On n’en peut plus“, a fustigé un manifestant au chômage souhaitant rester anonyme. Le Premier ministre Ariel Henry, au pouvoir depuis 2021, “n’a apporté aucune solution à nos problèmes“, a dénoncé un autre manifestant.

Haïti fait face à une grave crise politique, sécuritaire et humanitaire. Des gangs armés ont pris le contrôle de pans entiers du pays, et le nombre d’homicides a plus que doublé en 2023.

Qu’est-ce qui se joue aujourd’hui en Haïti ? Frédéric Thomas, le politologue spécialiste d’Haïti, chargé d’études au Centre tricontinental (CETRI) à Louvain-la-Neuve a répondu à nos questions.

Quelle intention y a-t-il derrière ces manifestations des opposants au pouvoir ?

Ils souhaitent que le Premier ministre actuel Ariel Henry quitte le pouvoir. Il n’est pas populaire ni légitime aux yeux de la population. Son bilan est catastrophique. Il n’a rien fait pour régler l’insécurité du pays et en rien améliorer le sort de la population, au contraire. Il n’y a aucune sortie de crise pour la population. Il constitue un peu ‘le verrou’ à toute alternative, à tout changement. C’est un peu le garant du statu quo de la reproduction des mêmes rapports entre l’élite économique, la classe politique et ses gangs armés. La population n’en veut absolument pas, elle a soif d’un changement pour mettre en place des politiques de lutte contre ses gangs armés contre la sécurité et ceux qui les soutiennent.

L’État haïtien demande une force armée internationale, est-ce donc la solution au problème ?

C’est une ‘fausse bonne’ solution. Le gouvernement actuel d’Ariel Henry a fait appel à la communauté internationale, un gouvernement qui n’a pas la légitimité pour le faire. Haïti est confronté à une expérience de différentes interventions internationales. Les casques bleus, force de maintien de la paix des Nations unies, n’ont malheureusement pas apporté de solutions structurelles à la situation haïtienne. Au contraire, la situation s’est dégradée. Elles ont souvent été accompagnées de violations de droits humains, de viols, également l’épidémie de choléra, des expériences très problématiques.

Le fait qu’un gouvernement non-élu fasse appel à une intervention internationale pour venir renforcer une police et ce même gouvernement pour combattre des gangs armés alors qu’il est dénoncé régulièrement pour ses liens avec ses gangs armés, est très problématique. C’est donc plus dans une situation de désespoir qu’une partie de la population appelle cette intervention internationale.

Du côté de la communauté internationale, cet appel est téléguidé par la Maison Blanche, pour ne pas remettre en cause la stratégie internationale de soutien de ce gouvernement. Ce n’est donc pas une solution, au contraire. Elle ne va rien régler aux racines du problème, les liens entre l’oligarchie, la classe politique et ses gangs armés.

Y a-t-il une solution ?

Une alternative est sur la table depuis plus de deux ans : l’accord Montana signé le 30 août 2021 par un ensemble d’acteurs de la société civile (mouvement de femmes, les syndicats, les églises, les ONG…). Ils appellent à une transition de rupture. Le Premier ministre actuel Ariel Henry devrait donc quitter le pouvoir pour mettre en place une large coalition pour assurer une transition de deux ans avant des élections. Cette alternative donnerait plus de légitimité à un soutien international contre ses gangs armés. Le problème : cette transition de rupture, la communauté internationale n’en veut pas. Elle ne cesse de soutenir le Premier ministre haïtien Ariel Henry, qui n’a aucune légitimité aux yeux de la population.

Comment voyez-vous l’avenir dans les prochaines semaines ?

L’avenir de ces prochains jours, ces prochains mois et prochaines années dépend du rapport de force entre le Premier ministre Ariel Henry et la communauté internationale, et de l’opposition politique et des organisations de la société civile. Ces organisations appellent à un changement, une transition et une rupture avec cette dépendance et ingérence de la communauté internationale. Tant que le gouvernement sera en place, il n’y aura aucune avancée, aucune solution à cette crise.

rtbf