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En RDC la congolité

En RDC, la « congolité » au cœur des crispations de la campagne présidentielle

REPORTAGE : À l’approche des scrutins généraux du 20 décembre, les discours incendiaires contre les « faux Congolais » ont ressurgi et gagnent du terrain.

Fiston s’avance timidement dans la discothèque. En cette heure matinale à Goma, l’une des principales villes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les lasers lumineux rouge et bleu sont tamisés, presque éteints, et les rares clients sont concentrés sur les chants religieux que crachent les enceintes. C’est le lieu idéal pour un rendez-vous discret. Le trentenaire (dont le prénom a été modifié) jette un œil à gauche puis à droite avant de glisser la main dans sa poche. Il en sort deux pièces d’identité : l’une congolaise, l’autre rwandaise.

En RDC, avoir une double nationalité est interdit. Mais « si les choses tournent mal, j’aurai la possibilité de fuir facilement grâce à ces documents. Alors, je prends le risque », se justifie Fiston. Natif du Masisi, un territoire congolais de la province du Nord-Kivu, le jeune homme est tutsi par sa mère. Et il sait que les deux cartes qu’il a entre les mains pourraient lui coûter la vie.

A l’approche des élections générales (présidentielle, législatives, provinciales et une partie des communales) prévues le 20 décembre, les propos xénophobes, notamment à l’encontre des populations rwandophones, gagnent du terrain en RDC. Et plus encore depuis la reprise du conflit avec les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) fin 2021, désignées par Kinshasa comme des envahisseurs étrangers téléguidés par Kigali.

Accusées de participer à la déstabilisation de la région depuis la fin du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, les autorités rwandaises ont toujours nié apporter un soutien militaire aux insurgés du M23. Mais les experts des Nations unies ont déclaré avoir des « preuves substantielles de (…) l’intervention directe des forces de défense rwandaises sur le territoire de la RDC » dans un rapport de décembre 2022.

« Ce sont juste des discours ! »

Dans le quartier Ndosho, à l’ouest de Goma, ces discours haineux entretiennent une paranoïa latente. 

Devant la station essence Simba, les minibus cabossés peints en jaune criard klaxonnent et zigzaguent entre la cinquantaine de motos qui engorgent le trafic. La zone est réputée être l’un des « points chauds » de la capitale du Nord-Kivu, « pleins de pickpockets et de bandits », insiste David, un des multiples motards qui encombrent la chaussée.

C’est dans ce quartier que Patrick Kabonge Gisore a été tué, le 9 novembre. Le capitaine de l’armée congolaise, attablé dans un maquis – une gargote –, visiblement ivre et en conflit avec un policier, a été lynché par une foule en colère.

« Il a été confondu avec un membre du M23 infiltré », détaille Elisabeth Ayubusa Ayinkamiye, une des figures de Ndosho, en précisant que la victime appartenait à la communauté Banyamulenge, des Tutsi congolais aux lointaines racines rwandaises.

Depuis qu’ils ont repris les armes il y a deux ans, les insurgés du M23 se posent en défenseurs des droits de ces Congolais qu’ils disent discriminés et marginalisés par l’Etat. « Tout ça, ce sont juste des discours politiques ! Les rebelles sont concentrés sur les combats et ne nous ont jamais protégés », rejette Fiston. L’ex-mécanicien a passé dix ans au Rwanda, où il a obtenu la nationalité grâce au parrainage d’un de ses oncles, avant de revenir chez lui, dans l’est du Congo, en 2021, pour exploiter les terres familiales.

Toute son histoire personnelle est marquée par ces allers-retours de part et d’autre de la frontière, mais le jeune agriculteur assure se sentir « davantage congolais ». « J’ai d’ailleurs renouvelé ma carte d’électeur [qui fait office de pièce d’identité en RDC] début 2023 sans difficulté auprès de la Commission électorale nationale indépendante », raconte-t-il.

SOURCE : lemonde.fr