29 avril 2024

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Pour comprendre la situation et les tensions en Birmanie

La junte militaire a repris le pouvoir le 1er février. Depuis, de nombreux hauts dirigeants du pays ont été arrêtés. Notamment Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement et icône de la démocratie birmane. Samedi, la violence exercée par les forces de l’ordre contre les manifestants est montée d’un cran.

La scène est surréaliste. Khing Hnin Wai, professeure de fitness, filme son cours de sport. Derrière elle, l’avenue principale de Naypyidaw (Birmanie), qui mène au Parlement. Mais le 1er février, la route habituellement si vide de cette capitale fantôme s’emplit de chars. Elle filme sans le savoir ce qui deviendra une image virale, témoin inattendue d’un coup d’Etat.

Que s’est-il passé le 1er février ?

L’armée birmane, portée par le général Min Aung Hlaing, a arrêté le président de la République, Win Myint, et sa conseillère d’Etat spéciale, Aung San Suu Kyi, à Naypyidaw. En plus de ces dirigeants, entre 300 et 400 personnes − élus, militants ou personnalités politiques défavorables au régime militaire − ont été arrêtées. La majorité des députés du pays étaient présents dans la capitale birmane car la session inaugurale d’entrée en fonction du nouveau Parlement devait se tenir début février.

Les chars ont investi les routes autour du Parlement et les forces militaires se sont déployées dans le pays. La télévision publique a interrompu ses programmes, les communications ont été perturbées la majeure partie de la journée. A Rangoun, la capitale économique du pays, les militaires se sont emparés de l’hôtel de ville et ont fermé l’accès à l’aéroport international.

Le premier vice-président, Myint Swe, a été désigné président par intérim et a transféré les pleins pouvoirs au général à la tête des forces armées, Min Aung Hlaing. Commandant en chef des forces armées, il concentre désormais les pouvoirs “législatif, administratif et judiciaire”. Il a proclamé l’état d’urgence pour un an.

Qu’est-ce qui a provoqué ce coup d’Etat ?

L’armée birmane n’accepte pas le résultat des législatives du 8 novembre 2020, remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), d’Aung San Suu Kyi. Son parti a obtenu la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement. Mais selon l’armée, le scrutin serait entaché “d’énormes irrégularités”. Le général Min Aung Hlaing recense “8,6 millions de cas de fraude”. Des allégations rejetées par la commission électorale. “Qu’il y ait eu des fraudes, c’est possible… Mais pas au point de changer le résultat, c’est évident”, souligne Bénédicte Brac de la Perrière, chercheuse au CNRS, anthropologue au Centre Asie du Sud-Est (Case).

Dès la fin janvier, quelques jours avant l’entrée en fonction du nouveau Parlement, le ton monte entre la NLD et les militaires. “On sait que pour l’armée, être en situation de partage du pouvoir est insupportable”, analyse Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la Birmanie. La large victoire du NLD aux élections indique pourtant un plébiscite du peuple birman pour davantage de démocratie et de pouvoir civil. Des aspirations incompatibles avec le maintien au pouvoir de l’armée. “La prochaine étape politique, c’était sûrement de nouveaux amendements qui allaient réduire la mainmise de l’armée sur certains secteurs économiques”, précise Sophie Boisseau du Rocher. Et il était inenvisageable pour la junte de renoncer à ces ressources, qui servent à financer le fonctionnement de l’armée et les retraites des militaires.

Pourquoi l’armée a-t-elle autant de pouvoir ?

L’armée est le pilier central du régime politique birman depuis 1962. A l’époque, le recours à l’armée se justifie par de fortes tensions interethniques : il faut rétablir une stabilité dans le pays. La dictature militaire y reste en place pendant près d’un demi-siècle. Cependant, à la suite de l’entrée du pays dans l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) en 1997, le régime s’assouplit. “L’armée a compris qu’elle était en retard sur les pays voisins et qu’elle ne pouvait pas continuer à accumuler ce retard. Cela a donc marqué le début d’une transition économique et politique”, affirme Sophie Boisseau du Rocher.

Pourquoi Aung San Suu Kyi est-elle au cœur de cette crise ?

Renversée du pouvoir le 1er février, cet ancien prix Nobel de la paix – en 1991 – âgée de 75 ans est l’égérie de la transition démocratique en Birmanie depuis 2016. Elle est depuis cette date “conseillère spéciale de l’Etat” auprès du président, un équivalent de cheffe du gouvernement. Une fonction créée de toutes pièces, qui lui permet de contourner les règles édictées par l’armée qui l’empêchent d’accéder au pouvoir. “Cette création de poste a marqué le début d’un bras de fer avec l’armée”, indique Sophie Boisseau du Rocher.

La Constitution birmane de 2008 a été façonnée pour l’empêcher de diriger le pays. Elle prévoit l’impossibilité pour tout citoyen birman de devenir président s’il a un conjoint ou des enfants étrangersce qui est son cas. Aung San Suu Kyi est rentrée en Birmanie en 1988, pour s’occuper de sa mère, gravement malade. Opposée au régime militaire, elle a par la suite été assignée à résidence pendant plus de quinze ans.

Depuis son arrestation le 1er février, elle est assignée à résidence dans son logement de fonction à Naypyidaw. Elle est accusée par la junte militaire d’avoir acheté des talkies-walkies à l’étranger, ou encore d’avoir violé la loi sur la gestion des catastrophes naturelles“, selon les propos rapportés par son avocat. “Le peuple sait très bien que ces accusations sont faites pour l’éloigner du pouvoir mais ne reposent sur rien de sérieux”, commente Sophie Boisseau du Rocher. Elle a lancé un appel à la désobéissance civile et exhorté ses partisans à “ne pas accepter” le coup d’Etat. Un appel largement suivi par les Birmans, notamment dans les hôpitaux, où les employés refusent tout travail, sauf urgence médicale. “Elle dispose d’une popularité incontestable”, ajoute la chercheuse de l’Ifri.

“Les Birmans savent parfaitement que sans Aung San Suu Kyi, il n’y aura pas d’ouverture, ni de transition possible.”

Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de la Birmanie

Comment les manifestations sont-elles réprimées ?

L’armée est aux avant-postes de la répression. Selon les observateurs présents dans le pays, elle a fait usage de lances à eau et de balles en caoutchouc contre les manifestants. “On sait maintenant qu’il y avait quelques balles réelles. Et elles ont permis d’instaurer une peur”, assure Bénédicte Brac de la Perrière.

Mais la répression inquiète les organisations de défense des droits de l’homme. “Cette armée a longtemps agi avec impunité dans le pays, et c’est la raison pour laquelle la situation est alarmante”.

Comment la communauté internationale réagit-elle ?

Le coup d’Etat est unanimement dénoncé par la communauté internationale. Le président des Etats-Unis, Joe Biden, a annoncé que son administration allait réduire l’accès aux fonds américains, soit près d’un milliard de dollars en moins pour le pays. A l’ONU, son secrétaire général Antonio Guterres a condamné fermement” l’arrestation d’Aung San Suu Kyi, ajoutant que “ces développements portaient un coup dur aux réformes démocratiques en Birmanie”. Tom Andrews, rapporteur spécial des Nations unies pour la Birmanie, s’est montré aussi très inquiet : “Je suis terrifié à l’idée que […] les militaires pourraient être sur le point de commettre des crimes encore plus graves contre le peuple de Birmanie.”

Quelles sont les perspectives pour le pays ?

Lors d’une conférence de presse le 8 février, Min Aung Hlaing a annoncé la tenue de futures élections. “Du point de vue de l’armée, il s’agit simplement de faire respecter la Constitution. Selon eux, il y a eu des fraudes, donc ils prennent le pouvoir pour rétablir le droit. Mais l’ampleur du mouvement contestataire ne trompe pas sur le désir démocratique du peuple birman”, reconnaît Bénédicte Brac de la Perrière. Se pose également la question d’élections libres, si la majorité des membres du NLD sont empêchés de se présenter ou assignés à résidence.

Par Marianne Chenou -France Télévisions