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Le Niger à l'heure des choix

Le Niger à l’heure des choix

DÉFIS. En plus d’avoir tenu dimanche l’un des scrutins les plus ouverts, le Niger est confronté à d’immenses défis, dix ans après l’arrivée au pouvoir du président Issoufou.

Il y a près de dix ans, Mahamadou Issoufou était investi en grande pompe. Le 7 avril 2011, les milliers d’invités officiels et la foule de badauds qui étaient de la fête au Palais des sports de Niamey ont vu se tourner une page d’histoire en direct. Et quelle histoire ! En moins de deux ans, le Niger avait connu un coup d’État institutionnel, un coup d’État militaire et une transition politique. Beaucoup d’événements pour un pays classé parmi les plus pauvres du monde. Tout avait commencé en 2009 avec la décision du président Mamadou Tandja de rester au pouvoir au-delà de son second mandat. Pour justifier son coup de force, l’ancien chef de l’État, décédé en novembre dernier, invente une stratégie qui fait encore trembler dans le pays, le « tazartché ». En clair, durant des mois, il fait vivre un véritable enfer aux populations à coups de propagande et de répression. Il sera farouchement combattu par une large majorité de la classe politique et de la société civile. Mahamadou Issoufou était en première ligne dans cette bataille. Avec son parti, le PNDS-Tarayya, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, il promet, pendant la campagne électorale, de s’attaquer aux grands problèmes du pays : djihadisme, pauvreté, chômage, criminalité, corruption… Dix ans plus tard, le bilan est mitigé.

Un bilan en demi-teinte pour la gouvernance Issoufou

« Il y a une volonté de créer les conditions d’une alternance politique, dit Seidik Abba, journaliste et spécialiste du djihadisme en Afrique de l’Ouest. De changer de cap aussi, parce que de nombreux Nigériens estiment que le bilan n’est pas très flatteur pour le pouvoir sortant. Le PNDS a dirigé le pays pendant deux mandats, mais, d’après les Nigériens, il est resté dernier à l’Indice de développement humain de l’ONU », complète cet expert nigérien.

« L’erreur qu’on commet est de considérer qu’à partir du moment où le président Issoufou ne se présente pas, c’est suffisant. C’est certes un atout pour le pays, mais, aujourd’hui, les enjeux sont multiples. »

Il n’est pas le seul à dresser ce constat. « Du point de vue extérieur, on a peut-être l’impression – par rapport à tout ce qui s’est passé ailleurs dans la sous-région – qu’on a enfin le droit à une vraie élection avec plusieurs candidats, plusieurs programmes, mais ce n’est qu’une apparence », juge, amer, au bout du téléphone depuis Niamey, Moussa Tchangari, président de l’ONG Alternative Espace Citoyens. « Il faut interroger le bilan d’Issoufou », interpelle une autre source contactée par Le Point Afrique. « Effectivement, le contexte de la sous-région est très agité et le Niger paraît comme un bon élève, mais, quand vous regardez dans le détail, il y a des suspicions, au niveau de la Ceni et même autour de l’élimination du principal opposant Hama Amadou », fait remarquer un observateur de la politique interne.

Une trajectoire démocratique pas si évidente

Tout le monde connaît le Niger, cette ancienne colonie française enclavée dans le sud du Sahara parmi les plus pauvres du monde. Avec 7,6 enfants par femme, le Niger détient le record mondial de fécondité. Le pays revient de loin, marqué par de nombreux coups d’État, et n’a jamais vu deux présidents élus se succéder depuis l’indépendance en 1960. Ainsi, il tâtonne toujours sur le plan démocratique, malgré l’espoir soulevé il y a une décennie par l’arrivée au pouvoir d’un opposant historique, Mahamadou Issoufou, aujourd’hui âgé de 68 ans. Sa décision de se retirer après deux mandats est une première pour le pays, et presque une exception en Afrique. Les exemples les plus récents sont la Côte d’Ivoire et la Guinée, deux pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont le Niger fait partie. Dans les deux pays, les deux présidents Alpha Condé et Alassane Ouattara ont contourné la règle des deux mandats maximum grâce à des changements dans la Constitution.

Un ancien diplomate confie que, si le Niger n’a pas suivi cette trajectoire, le pays est bel et bien sur une pente dangereuse. Il serait précipité de le citer en exemple de démocratie sur le seul fait que son président respecte la Constitution. Puisque, rappelle-t-il, « le président Issoufou a été réélu en 2016 avec 90 % des voix alors que son principal opposant et ancien allié Hama Amadou a fait campagne depuis sa prison et qu’aujourd’hui sa candidature a été invalidée : est-ce que c’est ça, la démocratie ? » En effet, la candidature de ce dernier a été écartée par la Cour constitutionnelle en raison de sa condamnation en 2017 dans une affaire de trafic de bébés, qu’il qualifie de jugement politique.

Moussa Tchangari est plus sévère et parle d’une « démocrature ». Le militant des droits humains plante un décor sans concession sur la situation sociopolitique du Niger, caractérisée ces dernières années par de nombreuses arrestations de syndicalistes, de journalistes et membres de la société civile. Lui-même a été emprisonné plus tôt cette année en mars 2020 après avoir participé à une manifestation à Niamey. Reporters sans frontières avait déploré, en juillet, « un grave recul » de la liberté de la presse au Niger, après deux arrestations de journalistes en raison de leurs publications sur l’épineuse affaire des surfacturations d’achats d’équipements militaires.

L’heure de l’alternance a-t-elle vraiment sonné ?

« L’une des constantes au Niger, c’est que la classe politique n’a pas été renouvelée depuis la conférence nationale de 1990, explique Seidik Abba, citant : Issoufou, Hama, Mahamane Ousmane, Seini Oumarou, tout ce personnel politique a émergé de la conférence nationale de cette époque. » 

Ce dimanche, pourtant, l’offre était pléthorique : trente candidats se disputent les suffrages des quelque 7,4 millions d’électeurs, sur environ 23 millions d’habitants, avec en lice deux ex-présidents et sept anciens ministres, pour une moyenne d’âge de plus de 60 ans dans un pays où la population est très jeune. Le grand favori est Mohamed Bazoum, ancien ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères, considéré comme le bras droit du président Issoufou. Il vise une victoire dès le premier tour, ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du pays. « Le président Issoufou n’a pas intérêt à ne pas organiser d’élections transparentes, souligne Seidik Abba, qui met en exergue la volonté du chef de l’État sortant de soigner sa sortie. En plus d’avoir renoncé à se présenter, il faut aussi qu’on dise qu’il a fait des élections transparentes », appuie cet observateur d’origine nigérienne.

« Après nous, c’est nous », dit un des slogans de campagne de Mohamed Bazoum. Fort de l’écrasante victoire de son parti aux élections locales du 13 décembre, cet homme de 60 ans, qui bénéficie de la machine électorale de son parti et de l’État, se place « dans les traces d’Issoufou » et a promis de mettre l’accent sur l’éducation, notamment pour les jeunes filles, ainsi que sur la sécurité. « Le PNDS a l’avantage d’avoir dirigé le pays pendant deux mandats, d’avoir installé ses structures, d’avoir une dimension nationale et d’avoir aussi le trésor de guerre, car, comme dans la plupart de nos pays, qui dit élections dit aussi importantes dépenses financières, pointe Seidik Abba. Mais ce n’est pas suffisant pour gagner. »

« Aucun parti et même aucune coalition n’ont réussi à gagner la présidentielle au premier tour. Il y a toujours eu un second tour. »

Une partie de l’opposition a choisi d’attaquer l’ancien ministre de l’Intérieur sur son appartenance à la minorité arabe. La justice a été saisie, mais sans succès. Au-delà de la personnalité de cet ancien syndicaliste qui a labouré tout au long de son long parcours politique les arcanes du pouvoir tant en interne qu’à l’international, Seidik Abba pense qu’il y a une lassitude générale des populations.

« Au Niger, comme dans d’autres pays africains, beaucoup de gens font de la politique parce que c’est leur métier. Ils vivent de ça, ils sont dans tous les pouvoirs », poursuit-il.

Faire de la politique autrement dans un Niger pris en tenailles par les défis sécuritaires et économiques

La donne pourrait changer à l’avenir avec l’arrivée de nouveaux partis politiques sur la scène nationale qui font le pari de s’ancrer différemment. Parmi eux, on peut citer le Rassemblement national africain, Ranaa, lancé en 2019 avec l’idée de faire de la politique autrement dans le pays. Parce que, comme le rappelle Moussa Tchangari, dans ces élections, les débats ont très peu porté sur le fond, notamment sur les programmes des candidats. Il regrette que les populations se soient détournées des questions socio-économiques qui occupent leur quotidien pour se concentrer sur les personnalités en course. « Les Nigériens sont déçus vis-à-vis de la politique, parce qu’ils voient que la politique ne sert pas vraiment à changer la vie des citoyens. Et depuis dix ans, ça n’a pas vraiment changé. Beaucoup pensent donc que le personnel politique ne travaille pas pour le développement du pays. Et à côté de ça, ils sont témoins des investissements qu’il y a dans d’autres pays. » Le Niger était classé 227e sur 228 sur l’Indice de développement humain de l’ONU en 2018. « On peut espérer le changement avec des partis comme Ranaa, qui ont l’ambition de faire en sorte que les militants cotisent, participent à la vie du parti, avec une opinion politique, avec une indépendance », pense Seidik Abba. Moussa Tchangari pense, au contraire, qu’il est trop tôt pour qu’un tel parti émerge sur la scène nationale. « Les mentalités ne sont pas encore prêtes, car les populations sont désabusées et préfèrent se tourner vers la religion », juge-t-il.

Hamidou Mamadou Abdou est le fondateur du Ranaa. Ingénieur conseil, ce Nigérien a passé près de trente ans au Canada, où il a dirigé Cima Global, l’une des plus importantes multinationales spécialisées dans l’ingénierie. « Devant la misère de nos populations et leur absence d’espérance, j’ai décidé de sauter le pas, et convaincu d’autres membres de la diaspora nigérienne de rassembler leur force pour enfin développer véritablement le pays », croit fermement cet homme qui veut bousculer le paysage politique nigérien. Au cœur de son projet, l’économie, bien sûr, mais aussi l’éducation et la sécurité. Bien conscient d’être un novice sur la scène politique nigérienne, cet homme croit en son destin personnel, mais aussi en celui de son pays. Ancien proche du président sortant, il l’a conseillé un temps, avant de prendre un peu de distance et de tracer enfin son propre chemin. Avec une pointe d’amertume, il a scrupuleusement noté les erreurs commises par l’actuel gouvernement, notamment sur le plan du développement des infrastructures, l’absence d’un secteur privé fort n’est pas pour encourager les partenaires du pays à y investir. Selon la Banque mondiale, « en 2019, environ 42 % des Nigériens vivaient avec moins de deux dollars par jour ». Une situation aggravée par le coronavirus, qui « entraînera une augmentation de la pauvreté ». Le Niger affichait en 2019 une croissance économique « robuste de 6,3 % », mais elle devrait baisser à + 4,1 % en 2020 en raison de la pandémie. Mais surtout près d’un cinquième de la population a besoin d’aide humanitaire.

Un contexte sécuritaire dégradé

Il faut dire que le contexte sécuritaire s’est beaucoup dégradé à partir de 2011. « Le nombre de victimes civiles en 2019 a été le plus élevé jamais enregistré depuis le début de la crise sécuritaire en 2015, avec plus de 250 morts et plus de 250 enlèvements », selon l’ONU. Et pourtant, l’armée veut encore doubler ses effectifs. Le pays accueille des bases française et américaine pour lutter contre les djihadistes. « L’an dernier, environ 15 % du budget national a été consacré aux dépenses de sécurité, ce qui est énorme pour un pays comme le Niger », appuie Seidik Abba.

Même si le pays a gagné une quarantaine de places à l’indice Doing Business de la Banque mondiale, il ne pointe qu’au 132e rang sur 190 pays. Il est 120e sur 198 à l’indice de l’ONG Transparency international. Le scandale des surfacturations à l’armée portant sur des dizaines de millions d’euros, découvertes après un audit demandé par le président Issoufou, rappelle que le pays est gangrené par la corruption.

« Les conséquences de ces marchés truqués sont graves pour les militaires qui n’ont plus les équipements nécessaires pour se battre sur tous les fronts, estime l’ancien diplomate français. L’armée nigérienne avait plutôt bonne presse dans les années Tandja. Là, elle perd sur tous les plans. Il y a des détournements massifs à tous les niveaux. Les scandales sortent tous les jours dans la presse. »

« Le pouvoir n’a pas eu beaucoup de chance du fait du contexte sécuritaire, veut croire Seidik Abba. Aujourd’hui, sur les cinq régions que compte le pays, il y en a quand même trois qui sont totalement ou partiellement sous état d’urgence : la région de Diffa au sud-est, la région de Tillaberi et la région de Tahoua. Ces régions sont sous état d’urgence du fait de l’insécurité avec le Mali, avec le Nigeria, et cela a nécessité la mobilisation de ressources importantes sur le budget du pays. » L’expert reste amer quant à la détérioration du secteur éducatif. Quelque 260 écoles sont fermées dans les zones d’insécurité. Et le niveau des élèves s’est considérablement affaissé depuis le milieu des années 1990 et les politiques d’ajustement structurel. En comparaison avec les autres pays de la sous-région, les comptes ne sont pas bons, les élèves nigériens figurent là encore au bas du classement.

Des ressources qui commencent à manquer

Il faut souligner que la fin du deuxième mandat a été difficile sur le plan des ressources, et l’agenda de la sécurité s’est imposé, même si tout n’est pas mauvais. Sur le plan de la diplomatie, par exemple, le Niger est entré au Conseil de sécurité comme membre non permanent, il a accueilli le Sommet de l’Union africaine, ce qui n’était jamais arrivé, on peut également mettre à l’actif du président Issoufou : le dossier de la Zlec, la zone de libre-échange économique africaine. « Le président n’a pas eu les coudées franches pour développer d’autres projets, dont notamment celui sur l’autosuffisance alimentaire, les 3 N, c’est-à-dire les Nigériens nourrissent les Nigériens. Les infrastructures n’ont pas pu être très bien construites non plus. À côté de ces dépenses sécuritaires, il y a aussi le fait que l’uranium, qui est l’une des principales ressources avec le pétrole, a perdu de sa valeur sur le marché international », nous apprend Seidik Abba depuis Niamey.

Une forte islamisation de sa société

Que fait la France ? Peu, apparemment, encore. « Le Niger est encore debout grâce au soutien inconditionnel de ses alliés que sont la France et les États-Unis. Mais pour combien de temps ? » Entouré par deux pays qu’on citait en exemple avant de s’effondrer, le Burkina Faso en 2014 et le Mali en 2012, le Niger à 98 % musulman est un État laïc qui n’est pas resté hermétique aux thèses de l’islam wahhabite. « Il y a une collusion telle entre les forces religieuses et la classe politique, ils s’utilisent et s’instrumentalisent les uns les autres, avance cet ancien diplomate devenu consultant. Il y a une adhésion de plus en plus forte à l’islam politique. D’ailleurs, on dit dans certains milieux qu’Issoufou est à la tête d’une République islamique, mais qu’il ne le sait pas. Les infrastructures sont absentes, ce qui nourrit l’insécurité. Quand les islamistes viennent, ils endossent les responsabilités de l’État », explique, pour sa part, Seidik Abba, qui s’est emparé de la question des repentis de Boko Haram, dans sa dernière enquête de terrain Voyage au cœur de Boko Haram (L’Harmattan).

Dans la grande majorité, au Niger, on pratique l’islam malékite, le plus répandu en Afrique de l’Ouest, réputé plus tolérant que le wahhabisme. Selon des observateurs, il existe cependant de fortes pressions pour en faire une République islamique alors que la religion déborde de plus en plus sur l’espace public avec des rues occupées par les fidèles ou l’arrêt des cours à l’heure de la prière. Le sujet a plané sur la campagne de la présidentielle et des législatives de dimanche, sans être vraiment évoqué par les politiques. « Au début des années 2000, dans les sphères plutôt aisées, c’était chic d’arborer le voile et de dire qu’on adhérait à l’islam fondamentaliste et qu’on revenait aux vraies valeurs. Puis ça s’est propagé dans l’ensemble de la société, et, face à l’échec du système démocratique, qui est perçu comme étant le système des Blancs, le réarmement moral se fait via l’islam, c’est-à-dire que l’islam véhicule des valeurs qui sont perçues comme nobles en opposition à la corruption, aux mœurs débridées qu’on accole au modèle occidental qui est la démocratie », constate ce consultant français. Selon lui, la France, principale alliée de Niamey, devrait changer d’approche concernant son soutien au pouvoir en place. « Nous devrions être beaucoup plus prudents dans nos déclarations, comme le sont, par exemple, les Américains. La France apparaît toujours plus comme un soutien inconditionnel du régime en place et oublie qu’il y a des forces vives, une société civile nigérienne. Ce qui nourrit un sentiment antifrançais au Niger. » Le plus grand problème, disent nos interlocuteurs, est peut-être moins dans la réussite du double scrutin présidentiel et législatif que dans le fait de parvenir à éradiquer les maux du pays en s’attaquant cette fois aux causes réelles. Or, si la corruption et les liens de certains avec les narcotrafiquants demeurent à l’ordre du jour, le Niger a encore un long chemin devant lui. Élections ou pas.

Par Viviane Forson journaliste