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Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI

Du bon usage du Panafricanisme

CHRONIQUE : La portée de la semaine de réflexion que vient d’organiser, à Conakry, l’historienne Safiatou Diallo sur le panafricanisme, est une œuvre de salubrité publique, dont la portée dépasse largement les frontières de son pays, la Guinée.

Ce 28 octobre s’achève, à Conakry, « La semaine de l’intégration africaine », ponctuée par une série de colloques, dans trois des principales universités de la capitale. Faut-il, sans attendre de savoir si cela a aidé les Guinéens à mieux s’imprégner du panafricanisme ou pas, se féliciter d’une telle initiative ?

Il était temps, en tout cas, qu’une certaine Afrique prenne le temps de se pencher sur le panafricanisme, belle idée, conçue, il y a plus d’un siècle, par des intelligences supérieures, mais qui n’en finit pas d’être pervertie, à des fins parfois mercantiles, hélas ! Toutes sortes de prophètes autoproclamés se saisissent de petits bouts de connaissances pour, y compris en abusant de la crédulité d’une couche de l’opinion, mettre le panafricanisme au service de causes à mille lieues des rêves des pères du concept. Exactement comme ces manipulateurs de consciences qui s’emparent d’extraits mal digérés de livres saints pour endoctriner tel public malléable. 

Le pire est que, grâce aux réseaux sociaux, ces manipulateurs parviennent souvent à supplanter les historiens et autres véritables spécialistes du panafricanisme, pour en faire librement leur gagne-pain, sinon un métier, qu’ils exercent sans s’embarrasser de règles déontologiques ou morales.

Le panafricanisme se définissant aussi comme une idéologie, n’ont-ils pas le droit d’en faire l’usage qu’ils désirent ?

Peut-être avez-vous entendu, au micro de RFI, cet auditeur de Conakry qui, citant nommément un « panafricaniste professionnel », déplorait que ce dernier s’en serve pour « rejeter les autres ». Faire du panafricanisme l’usage que l’on veut revient, ici, à réduire l’Afrique à devoir se définir dans l’adversité ou le rejet des autres, hélas !

Ceux qui ont conçu le panafricanisme étaient de ces figures concourant à la formation de l’opinion publique, que l’on appelait, jadis, des publicistes. C’était, une idéologie de combat, certes, mais la réflexion de haut niveau avait prééminence sur la véhémence et la violence verbale. Il n’est point besoin de haïr les autres pour s’aimer soi-même. Nombre d’analystes situaient volontiers les origines du panafricanisme à la naissance, en janvier 1804, d’Haïti, premier État noir et deuxième État indépendant des Amériques, après les Etats-Unis. Mais nombre d’historiens estiment que le panafricanisme a surgi, dans le dernier tiers du XIXe siècle, des profondeurs des âmes meurtries des Noirs d’origine africaine installés dans les Antilles anglaises et aux Etats-Unis. Les artisans du concept rêvaient alors d’œuvrer aux retrouvailles entre les êtres arrachés de force à la mère-Afrique et leurs frères du continent, en libérant ces peuples de la domination et de l’exploitation, et en contribuant à la régénération et à la renaissance des peuples noirs, en Afrique et ailleurs.

Que de chemin parcouru, depuis le premier Congrès pan-nègre, tenu en l’an 1900, à Londres !

II y en a eu un deuxième, en 1912, à Tuskege, aux Etats-Unis. De 1919 à 1945, les congrès panafricains s’enchaînent : Paris, Bruxelles, Londres, Lisbonne, New York puis, en 1945, Manchester, qui décide d’implanter le mouvement en terre africaine. À l’origine, le Libérien Edward Wilmot Blyden apparaissait comme le pionnier du panafricanisme, avant que le mouvement n’émigre vers les Antilles britanniques, sous le leadership du Trinidadien Henry-Sylvester Williams, puis vers les États-Unis et en Amérique du Nord, où les Noirs s’en serviront pour combattre la ségrégation raciale. La liste des héros s’allonge, au fil des ans : W.E.B. Du Bois (William Edward Burghardt Du Bois), Alan Locke, Jean Price Mars, Marcus Garvey, et tant d’autres dont les noms, selon la formule de Léopold Sédar Senghor, sonnaient comme un manifeste. À l’instar des Guyanais M.T.R. Makonnen et Peter Milliard, du Trinidadien George Padmore, des Africains Wallace Johnson, Jomo Kenyatta, Kwame Nkrumah, Nmandi Azikiwe, Peter Abrahams…

Dès le départ, le panafricanisme induisait l’idée des États-Unis d’Afrique. Mais, à cause des errements depuis les indépendances, l’Afrique n’en a jamais été autant éloignée. Voilà pourquoi cette petite semaine de réflexion sur le panafricanisme a pu être ressentie comme une œuvre de salubrité publique.

Par :Jean-Baptiste Placca