28 avril 2024

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Comprendre pour informer pour rendre compte de ce qui se passe dans le monde

Interview kenneth kaunda

Afrique(s) : Les grands entretiens partie 3/3

Collection produite par l’Ina et Temps Noir.

Trop longtemps l’Afrique n’a eu ni visage, ni parole, ni mémoire. Sa seule histoire était celle qu’écrivaient à sa place ceux qui l’avaient fait souffrir et qui l’avaient pillée : des récits de peuples sauvages qu’il fallait éduquer, de dictatures écrasées de soleil, de catastrophes humanitaires. Comme si l’Afrique n’était pas encore assez adulte pour parler de sa propre voix. Comme si elle ne pouvait pas se dire, se raconter et nous révéler elle-même sa profonde identité.

Un proverbe africain dit : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. » Les entretiens de la collection Afrique(s) racontent pour la première fois l’histoire du continent africain « du point de vue des lions ». En donnant la parole aux grands acteurs qui, de près ou de loin, ont pris part à son réveil, cette collection donne à tous l’occasion de découvrir une autre face de notre histoire commune, une autre histoire du 20ème siècle…

Engagement politique

Pour combattre cette discrimination, nous devions nous organiser en organisations politiques.Nous l’avons fait, et je me souviens que ce grand homme en Inde, Mahatma Gandhi, son premier ministre, Pandit Nehru – j’ai rencontré Pandit Nehru mais je n’ai pas rencontré Gandhi, il est mort, il a été tué avant que je ne puisse le rencontrer -,il a enseigné ceci : que quand vous combattez le colonialisme britannique, vous pouvez vous battre simplement en allant en prison et en acceptant, en défiant les mauvaises lois.Vous pouvez défiez ces mauvaises lois.Ils vous enverront en prison mais une fois dehors, vous continuez jusqu’à ce qu’ils disent «cet homme est sérieux».Ils commencent à réfléchir à l’être humain et vous atteignez l’issue du combat de cette manière.Dans d’autres pays, d’autres pays coloniaux, il est justifié de prendre une arme et de se battre avec une arme parce qu’il n’y a aucun autre moyen.J’ai suivi cet enseignement et j’ai dit « Nous luttons contre le colonialisme britannique, nous devons donc suivre ce que Pandit Nehru et Mahatma Gandhi disent, que nous pouvons combattre le colonialisme britannique sans prendre les armes ».Donc, c’est ainsi que nous nous sommes organisés, sur la base de la non-violence, et cela a plutôt bien marché.Je suis allé en prison, entré, sorti, et voilà comment par exemple j’ai arrêté de boire du thé.J’aimais beaucoup le thé mais puisque j’allais être emprisonné j’allais défier les mauvaises lois en allant en prison, et quand je serai en prison il n’y aurait peut être pas de thé, et cela aurait affecté ma détermination à combattre pour mon indépendance.Donc je devais arrêter de prendre du thé avant d’aller en prison.Voilà comment, le 23 juillet 1953, j’ai bu 6 tasses de thé en une fois et j’ai arrêté.C’était la dernière fois que j’ai bu une tasse de thé ainsi.Depuis, je n’en ai pas repris.Et puis bien sûr la viande…Nous achetions la viande à travers les casiers et ce n’était pas bien.Donc, en janvier 1954, j’ai arrêté de manger de la viande.Je suis encore un végétarien à cause de combat contre le mal, contre les aliments sociaux comme celui-ci.Voilà comment j’ai participé à cette lutte.Mais, comme je l’ai dit plus tôt, mes sentiments à l’encontre des gens qui m’ont discriminé n’était pas de la haine du tout, parce qu’encore une fois l’enseignement du Seigneur dit « la vengeance est inutile ».Donc je n’ai jamais pensé à la vengeance contre ceux qui m’ont indigné ou indigné Mandela ou indigné Oliver Tambo et beaucoup d’autres en Afrique du Sud, dans beaucoup d’autres colonies.Non, je pense que ce serait mal et il n’y a aucune haine en moi.Rien.Je vois les gens comme des êtres humains.« Aime ton prochain comme toi-même ».C’est le même principe qui nous a décidés à ouvrir la Zambie à ceux qui luttaient contre d’autres puissances coloniales, autres que les Britanniques, autour : l’Angola, le Mozambique, le Zimbabwe, la Namibie, l’Afrique du Sud.Nous avons ouvert cette lutte ici pour qu’ils se battent d’ici parce que leur combat était juste.

La prison

J’ai été envoyé en prison à cause de mes convictions, pour des raisons politiques.Dehors, dedans, dehors, dedans.Mais il n’était pas question que je craigne cet emprisonnement du tout, aucune raison pour que je haïsse ceux qui m’ont envoyé en prison.Je savais que ce qu’ils faisaient était mal et je savais que je représentais ce qui était juste.Par conséquent je représentais ce que je représentais, et ensuite, dieu merci, mes collègues et moi avons réussi et nous avons obtenu l’indépendance.Nous avons gagné notre indépendance sans haine, nous avons gagné l’indépendance avec l’esprit clair.Nous voulions que cela entraîne plus de justice pour la nation.Nous voulions apporter à la nation la paix et le développement, parce que sans paix et développement, que pouvons-nous faire ?Donc, nous avons exploré ces zones de la race humaine qui combattent la pauvreté, les problèmes de famine, l’ignorance, la maladie, le crime, la corruption et par-dessus tout l’exploitation de l’homme par l’homme.Ce sont les forces du mal que nous avons voulions absolument combattre, et je crois que nous avons très bien commencé le combat.

Vers l’indépendance

L’obtention de l’indépendance par la Rhodésie du Nord, puis le fait qu’elle devienne la Zambie, a demandé beaucoup de travail dans des directions diverses.Premièrement, nous devions organiser et la mobiliser la population comme un tout.Deuxièmement, pour être sûrs qu’ils comprenaient ce dont nous parlions, pas seulement être partout mais leur faire comprendre ce pour quoi nous luttions, pour les faire réaliser que se rassembler signifiait qu’eux-mêmes allaient se diriger et guider le développement du pays.Ce serait leur responsabilité.Ils n’allaient pas dépendre d’autres personnes.Ils devaient dépendre de leurs propres ressources, de leur propre énergie pour développer le pays.Donc, je crois que ça s’est bien passé, je dois dire.A la fin, c’est ainsi que nous avons réussi et je dirai toujours que nous remercions Dieu pour cela, parce que nous rassembler tous n’était pas une chose facile du tout.Je crois que nous avons eu l’aide de Dieu parce que quand nous avons dit « Aime Dieu ton créateur avec tout ton coeur, toute ton âme, tout ton esprit, toute ta force », et quand il s’agit de chacun d’entre nous nous disons « Aime ton prochain comme toi-même », c’est faire aux autres comme ils auraient fait pour toi.C’est essentiel.C’était essentiel à l’époque et ça l’est aujourd’hui.Là où les gens n’observent pas cela, ne l’acceptent pas et ne le suivent pas, en vivent mais ne le mettent pas en pratique, il y a la guerre civile.Il y a une guerre civile qui se déroule parce qu’ils ont échoué.Les guerres civiles éclatent parce que les gens ne connaissent pas le sens de ce dont je parle.Ils commencent à se montrer du doigt les uns les autres.« Tu es de cette tribu, tu es de cette couleur, tu es de cette religion, tu es ceci, tu es cela ».Quand cela arrive, les gens ne parviennent pas à se rassembler et à construire, et à démarrer le développement de leur éducation, de leur service de santé, de leurs services de communication.Et c’est exactement ce que nous avons fait lorsque nous sommes arrivés au coeur des choses, quand nous avons obtenu l’indépendance.Nous avons rendu l’éducation gratuite parce que les gens étaient pauvres.Bien sûr, ils avaient fait des dons, comme je l’ai dit plus tôt, des oeufs, du poulet, ceci et cela, parfois même des chèvres.Ils ont donné tout cela et ils ont construit l’université eux-mêmes.Ils devaient faire cela pour obtenir une éducation.Gratuite du début jusqu’à l’université.Nous avons rendu notre éducation gratuite.Nous avons également commencé à construire des services de santé.Cette éducation, parce que comme je l’ai dit il n’y avait qu’une école secondaire pour les noirs, les garçons, une école secondaire pour les noires, les filles, et là, nous avons construit dans chaque district un certain nombre d’écoles secondaires, d’écoles primaires.Dans chaque province nous avions une école de formation des professeurs.Voilà ce qui se passait.Quand cela est arrivé, ce qui a suivi c’est que nous devions nous occuper des services de santé, construire des cliniques, des hôpitaux, des grands hôpitaux dans chaque district.Il y avait des cliniques dans chaque district.Nous n’avions pas de routes, alors nous avons commencé à construire des routes en routes goudronnées depuis la ville de Lusaka vers chaque quartier général des provinces.Ensuite nous avons construit des routes de gravier depuis chaque capitale de province vers chaque centre de district.Du centre du district nous avons construit ce que nous appelons des voies de desserte, c’étaient des routes qui allaient du district à des centres de développement.Nous étions très satisfaits d’avoir établi une base pour la reconstruction de la nation, pour reconstruire la nation.Pendant que cela se passait, nous chantions la devise « une Zambie, une nation », où que nous allions, « une Zambie, une nation », et nous construisions de cette manière.Je veux donc remercier Dieu, c’est ainsi que nous n’avons pas eu de guerre civile du tout en Zambie.Les gens étaient unis.Oui, durant l’époque Chiluba, la Zambie a été secouée.Mais à l’époque, quand c’est arrivé, même si vous êtes un leader, les gens vous donnent des coups de poing, la loi vous donne un coup de poing.C’est pourquoi le président Chiluba, même aujourd’hui, n’est toujours pas libre.Il est toujours interrogé par les tribunaux judiciaires.Je voyage et je vais partout où je veux, Dieu merci, mais lui ne peut pas.Il est toujours devant le tribunal parce qu’il est accusé de ne pas avoir été honnête avec ses supporters ou son public.Ses propres officiels, ses commandants d’armée, ses inspecteurs de police, sont devant les tribunaux, tous.Certains sont déjà en prison parce qu’ils n’ont pas observé la réalité « une Zambie, une nation ».Si vous aimez vos prochains, comment pouvez-vous les voler ?Si vous aimez vos prochains, comment pouvez vous faire quelque chose de dangereux pour eux, leur faire du mal ?Donc, je voudrais souligner que ce point nous a beaucoup aidés en Zambie.Quand cela disparaît, les dirigeants commencent à remplir leurs propres poches et les gens le voient.Quand leur heure sonne, ils essaient de rester pour un autre mandat, mais les gens disent non, ils refusent.C’est la base de l’unité de la Zambie, la force de la Zambie.

Kenneth Kaunda

Le jour de l’indépendance

Je dois dire, cela a été une grande nuit, lorsque le drapeau britannique est tombé et que le nôtre a été levé.C’était dans un stade de football [incompris].Des centaines de milliers de gens s’étaient rassemblés de tous les coins du pays.Ils étaient là pour représenter leurs régions.C’était plein, plein, plein dans le stade et nous passions de la musique partout, en chantant des hymnes, très joyeux.Puis le moment est arrivé : minuit, 24 octobre 1964.Je vous dis, les larmes me sont venues aux yeux, mes joues mais Dieu merci j’ai été assez fort.Nous avons juste levé la tête et avons vu le drapeau britannique descendre très lentement, descendre, descendre.Et alors le nôtre a commencé à monter, monter, jusqu’en haut.Il y a eu alors des applaudissements.Oh, ma parole, c’était un moment fantastique !Vraiment fantastique !Les applaudissements, les gens qui criaient…Et les organisateurs, une très bonne équipe, des soldats britanniques qui nous aidaient à faire ce changement, ils ont fait une marche depuis un endroit un peu plus haut.Ils marchaient… (chant).Ils allaient lentement, avançaient jusqu’au terrain de football, et sortaient pour montrer que le gouvernement britannique partait.Donc, il y a eu une vraie coopération et je les remercie beaucoup.Ils sont sortis comme cela, et les applaudissements qui ont suivi cet événement sont inimaginables.Une cousine de la reine est venue.Je ne me souviens plus de son nom, c’était une vieille dame.Elle se tenait avec moi à cet endroit.Ils étaient très coopératifs.Ils ont été très coopératifs, ils ont fait un très bon travail.Il y avait tellement de cris!C’était une situation incroyable.Bien sûr cela ne se reproduira plus jamais !Ca n’arrive qu’une fois.C’est arrivé et cela ne peut que rester dans ma mémoire maintenant.

Mandela libre

Quand Mandela a été libéré, je vais vous dire, je me suis senti très heureux, oui, très heureux.Le pauvre homme avait été en prison pendant 27 ans et j’avais parlé de lui avec ses dirigeants : « Je vous en prie, relâchez-le, je vous en prie, relâchez-le !»Mais rien à faire.Et quand De Klerk l’a libéré, j’étais très très heureux, oui très très heureux.Heureusement, quand il a été libéré, le premier pays qu’il a visité était la Zambie, il est venu dire au peuple zambien – pas à moi, au peuple zambien – : « Merci pour ce que vous avez fait pour nous ».Il est venu nous dire cela à tous.Je savais bien que c’était une visite importante, alors j’avais invité quelques dirigeants, des chefs d’Etat des pays voisins, à être présents alors que nous le recevions pour son retour à la liberté.Et c’était merveilleux.C’était vraiment incroyable, je n’ai jamais vu de telles foules en Zambie, jamais !Pas même pour moi.Des foules gigantesques étaient venues à l’aéroport, sur la route, tout au long de la route qui mène à la présidence.C’était fantastique !Il y avait vraiment une affluence record.Ils se réjouissaient tous des changements en Afrique du Sud.

Parti unique

C’est important que j’explique à tous nos amis comment un démocrate comme moi a décidé d’établir une démocratie à parti unique.Ce qui s’est passé, c’est notre décision de soutenir les combattants de la liberté en Angola, au Mozambique, au Zimbabwe, en Namibie et en Afrique du Sud nous a amené beaucoup de problèmes, beaucoup de problèmes.Mais il n’y avait aucun moyen de revenir sur cette décision.C’était une question de principe.J’en reviens au «Aime ton prochain comme toi-même, fais aux autres ce qu’on voudrait qu’on te fasse».Si nos voisins avaient été de bons voisins, auraient-ils regardé la Zambie souffrir en silence ?Non, en aucun cas.Nous devions faire ça par amour de la vérité, par amour de la justice, par amour de la paix, par amour du développement de la région.Voilà ce que nous avons fait : Nous avons accepté d’aider nos collègues.J’ai parlé du fait que Oliver Tambo et Nelson Mandela – aujourd-hui Madiba – sont venu me voir pour obtenir du soutien dans leur lutte.Sans aucune hésitation, j’ai dit que nous ferions tout ce qui était en notre pouvoir.Et nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir.À cause de mes principes, je me vois comme un disciple de cet enseignement : «Aime Dieu ton créateur de tout ton Coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces.Si tu aimes ton créateur qui a également créé les autres comme il t’a créé, quel droit as-tu de ne pas aider ces gens qui te sont similaires ?»Tu n’as aucune raison.Nous n’avions pas le choix.C’est quelque chose que je ne regretterai jamais.Je ne regretterai jamais de les avoir soutenus.Nous l’avons fait par principe.Pourquoi est-ce que je dis ça ?Je veux expliquer que la seule façon que nous avions de survivre alors, et c’est d’ailleurs la façon dont nous avons survécu, c’était de ramener l’unité dans le pays.Je vais parler de l’attitude que nous avons adopté à l’égard de chaque région, mais je dois insister là-dessus.Si nous ne nous rassemblons pas, non pas par la force, mais par la discussion – et nous discutions de ces problèmes.J’ai expliqué que nous avions envoyé Mainza Mathias Chona, le vice-président, en campagne pour expliquer au peuple zambien pourquoi nous devions établir le parti unique.Nous avons parcouru le pays, et avons établi un accord.Nous étions très heureux.C’était dans la constitution : quand le temps serait venu de revenir au multipartisme, nous pourrions alors organiser un nouveau referendum et les gens pourraient décider de revenir au multipartisme.En temps voulu…Donc, alors que nous continuions le combat, l’Angola est devenu libre, le Zimbabwe est devenu libre, le Mozambique est devenu libre, la Namibie était née, et en Afrique du Sud, bien sûr, Mandela était sorti de prison.Je me suis alors dit «C’est merveilleux, Dieu tout puissant, le Seigneur nous a aide, il nous a guidé dans cette lutte… Que faire maintenant ?»Bien sûr, il y avait beaucoup de pression : des émeutes à cause du manque de nourriture, des émeutes et toutes sortes de problèmes dans le pays.Ces problèmes arrivaient à cause de la pression que nous subissions de la part de ceux qui s’opposaient à nous et à notre combat contre l’oppression dans les territoires voisins.En voyant tout cela arriver en 1990, 1991, j’ai compris que les luttes étaient terminées.Il n’y avait plus aucune raison de conserver le parti unique.Alors qu’est ce que j’ai fait ?Je me suis moi-même évincé, tout d’un coup, tout seul, j’ai supprimé la nécessité d’un referendum pour revenir au multipartisme.J’ai dit « Pourquoi aurions-nous besoin de ça ? »Je reste moi-même convaincu que j’ai fait ça pour préserver la Zambie, préserver son unité et la paix en Zambie.Mais maintenant que c’était fini, il n’y avait plus de raison de combattre qui que ce soit.Tous les citoyens sont maintenant libres et indépendants, Nelson Mandela est sorti de prison.

Julius Nyerere et sa génération

Qui était Julius Nyerere ?De mon point de vue, Julius Kambarage Nyerere était un grand homme, un grand combattant pour la liberté, un homme de principe et de dévotion à la cause des hommes de par le monde.Que vous soyez de l’Est, de l’Ouest, du Nord ou du Sud de ce continent, Julius était là pour vous, il était là avec vous.C’est comme ça que je vois les choses.C’est ainsi qu’un jour, en rentrant de Dar es Salaam, j’ai retrouvé à la maison ma femme, qui venait de donner naissance à deux enfants, un garçon et une fille.J’ai appelé le garçon Kambarage en l’honneur de Julius Kambarage Nyerere.Ce garçon est toujours de ce monde.Quand je parle de Julius Kambarage Nyerere, je n’oublie pas que nous avions ailleurs d’autres frères spirituels.Prenez par exemple Kwame Nkrumah au Ghana.Il disait : « l’indépendance du Ghana est insignifiante tant que le reste de l’Afrique n’est pas libre ».Quelle idée puissante.Quelle idée puissante c’était là.Je l’aimais, et partageais profondément ses idées.Sekou Touré en Guinée, de la même manière, a fait beaucoup pour soutenir les peuples d’Afrique de l’Ouest.Lors des conférences internationales, il était là pour ceux qui étaient touchés par la pauvreté, pour ceux qui devaient encore trouver le chemin de l’indépendance.Je pense encore à de nombreuses personnes : Ben Bella en Algérie, très proche…Je pense à Neto, à Samora Machel.Samora Machel était beaucoup plus jeune et pourtant il partageait ces mêmes principes.Neto, de ma génération, partageait ces mêmes principes.C’est pour cela que je l’ai hébergé à la présidence en tant que chef d’Etat.Il rêvait de son propre champ de bataille, et comme nous disions, je l’avais fait chef d’Etat dans mon esprit, et par mon attitude envers lui.Il y a donc beaucoup de gens dont l’esprit étaient similaires à ce que je peux dire de mon humble personne.Certains étaient plus vieux que moi, d’autres beaucoup plus jeunes.

Les Non-Alignés

Le mouvement des non-alignés était un mouvement important, et je suis très heureux qu’ils se soient réunis récemment en Egypte.Une petite digression : mon cabinet m’avait dit que, alors que j’étais ailleurs pour affaires, j’avais reçu une invitation pour assister à cette conférence.Mais le temps que je retourne à mon bureau, c’était trop tard…Maintenant, qu’est-ce que le non-alignement ?Pour moi, c’est la même idée que dans « Aime ton prochain ».Qu’est-ce que j’entends par là ?Qu’est-ce que j’entends par là ?Nous vivons dans un monde très divisé, et, bien entendu, les divisons nous mènent bien souvent aux guerres.Comment expliquer 1914-1918 ?Comment expliquer 1939-1945, sinon par la division et la haine ?Le non-alignement dit : « Ne vous alignez pas sur les forces qui divisent le genre humain ».Vous voulez rester dans un position où vous pourrez défendre ce que vous pensez être juste, et pas ce que d’autres personnes pensent juste, ni ce qui fait que les autres combattent un autre groupe.J’ai donc perçu le Non-Alignement comme un mouvement de grande importance, qui s’il était géré correctement…- je ne sais pas comment cela a été fait au Caire cette fois, je n’ai pas vu les rapports sur ce qui s’est passé là-bas.Mais j’espère qu’on ne gâche pas tout, qu’on ne glisse pas de ce que c’était au début à ce que c’est devenu aujourd’hui.Je vois le Non-Alignement comme un grand mouvement, capable de fédérer les forces de paix.J’ai eu le privilège de diriger ce mouvement pendant ces années.Et je l’ai fait avec joie.J’espère que la contribution de ma nation a un peu aidé à le mettre à niveau, à consolider.J’ai bien sûr visité bon nombre de pays où il y avait des problèmes.Je suis toujours désireux d’aider là où je peux, encore aujourd’hui.Je me souviens de bon nombre de pays que j’ai assisté, même après la fin de mon mandat.Un autre grand leader dans ce domaine du non-alignement était un de mes grands amis, le yougoslave Tito.Voyez combien il a fait pour rapprocher les pays en guerre.Les pays qui se disputaient, qui se combattaient, il les réunissait.Je me rappelle un jour où j’étais en Yougoslavie, et je disais : « Tu sais camarade, je vénère le sol où tu marches, à cause des grandes choses que tu as accomplies ici. ».Et un homme était assis près de ma femme et lui disait : «c’est le problème avec votre mari : il croit qu’on ne peut rien faire sans Tito.On fait tourner un pays, là, et Tito, il est juste assis !»Il racontait cela à ma femme et je suis arrivé pour lui dire : «chérie, n’écoute pas ces gens !Ils ne savent pas de quoi ils parlent !»C’était vrai.Malheureusement, quand il est mort, la Yougoslavie a péri et c’est une bien triste chose.

Le FMI et la Banque Mondiale

En ce qui concerne l’économie, le FMI et la Banque Mondiale, mon gouvernement les a approché : ils ont aidé ici et là.Mais d’un autre côté, j’étais assez critique par rapport à leur manière de faire et je crois bien que c’est pour cette raison que dans certains cas, ils ne nous ont pas du tout aidé.Les politiques qu’ils menaient étaient difficiles à comprendre et à apprécier.Alors, même si nous acceptions leur aide, et jusqu’à maintenant, j’ai souvent pensé que cela dépendait de qui menait la barque.Certaines personnes là-bas sont très douées, elles mènent leur politiques à bien, et obtiennent des résultats.Mais d’autres leur succèdent qui sont manipulées par des grandes puissances, et alors c’est une toute autre affaire : c’est le problème que je vois avec le FMI et la Banque Mondiale.Ils devraient faire du bon travail, c’est une bonne idée de penser à la condition des autres, mais il faut aussi penser à comment y arriver.

Le Zimbabwe et Robert Mugabe

En ce qui concerne Robert Gabriel Mugabe, je sais qu’il est diabolisé par l’Occident.Je dirais que ceux qui connaissent l’histoire de cette période ne peuvent pas diaboliser Mugabe.En tout cas ils ne devraient pas le faire, parce qu’il a traversé beaucoup d’épreuves, causées largement non pas par ses propres actions mais par celles des autres.Et donc je continue à dire qu’un jour, j’espère qu’on lui rendra justice.Ce n’est pas à moi de dire ce qui est bon pour son peuple.C’est à son peuple de le dire ou de ne pas le dire.Je suis sûr qu’une fois qu’il verra la situation s’apaiser, il sera capable de décider de partir.Il va le faire nécessairement, il n’y a aucun doute.Je le connais suffisamment pour pouvoir le dire pour lui.Je dois préciser qu’une fois qu’il est sorti de prison, et qu’il a gagné la lutte pour l’indépendance, il a laissé Ian Douglas Smith rester au Zimbabwe, conserver sa terre, en laissant aux Britanniques le soin de décider ce qu’il en adviendrait.Ce n’était pas peu de chose pour lui que de le laisser là.Il lui aurait été plus facile de dire : «Dehors, Ian Smith, dehors ou je te fais arrêter et jeter en prison !».Mais il ne l’a pas fait, et ça n’était pas une petite décision.C’était une décision importante de sa part.Je ne crois pas que Mugabe puisse être mêlé à un quelconque acte de violence sur un de ses frères en humanité.Vraiment, je ne le crois pas.Certains membres de son parti, sans aucun doute, il y avait un tas d’escrocs dans son parti.Il est certain qu’il y avait quelques escrocs.Encore aujourd’hui, j’essaie de suivre certaines de ses affaires, et du règlement de certaines choses dans son pays.

L’Unité Africaine

La présidence de l’Union Africaine, l’OUA à l’époque, Organisation de l’Unité Africaine.J’ai occupé ce poste pour deux mandats successifs, à la demande de mes collègues.Lorsque c’est arrivé, j’ai été ravi de soutenir mon organisation.Là encore, j’ai souvent voyagé, dans différents pays, pour essayer de voir ce qu’on pouvait faire pour renforcer l’organisation.Comme je l’avais fait lorsque j’étais à la tête du mouvement des non-alignés, j’ai fait la tournée de mes collègues pour voir ce que nous pouvions faire pour se développer rapidement dans ces conditions.D’ailleurs, il me semble que c’est à peu près au même moment, oui il y a du y avoir un ou deux ans où j’étais président des deux organisations.J’étais au service du continent, au service du reste du monde.Quand on vous demande quelque chose comme ça, vous devez répondre, et si vous suivez le principe « Aime ton prochain comme toi-même », alors vous devez répondre présent.L’unité africaine est en marche.Je n’ai aucun doute là-dessus.Elle est en marche, mais il nous faut voir ce que nous allons en faire.C’est un sujet important.Nous regardons les Etats-Unis d’Amérique : tellement d’Etats qui s’unissent…Nous regardons l’Europe…Prenons d’abord aux Etats-Unis : c’était un état d’esclaves, d’esclaves noirs.Et aujourd’hui, Obama est Président : Dieu fait bien des merveilles.Regardez tous les gens, tous les blancs qui ont voté pour Obama.Après toutes ces années de souffrance, les blancs et les noirs ont uni leurs voix pour élire ce jeune homme, parce qu’ils pensaient qu’il pouvait les aider.C’est un grand changement dans le coeur des Blancs Américains, un changement dont je me réjouis.Prenons l’Europe aujourd’hui : deux guerres, 1914-1918 et 1939-1945, deux guerres mondiales engagées par l’Europe.Et qu’en est-il aujourd’hui ?Il y a l’Euro, et c’est une évolution incroyable pour l’Europe.L’Europe se rassemble.Ils y ont pensé, et ils n’ont pas fait que penser : ils ont agi.Ils rassemblent les économies, pour les unir au sein d’une économie plus forte.Elle sera aussi forte que celle des Etats-Unis.Beaucoup de choses se passent, à grande échelle.Dieu merci, l’unité arrive aussi en Afrique.Je suis sûr que vous connaissez tout ça : ECOWAS en Afrique de l’Ouest, le Zagreb en Afrique du Nord – je ne me rappelle pas du nom exact -, il y a dans cette région le COMESA, le SADEC à l’Est, et ils viennent juste de prendre des décisions visant à renforcer notre accord.Il y a les ECOWAS en Afrique de l’Ouest – j’en ai déjà parlé.Il y a donc toutes ces organisations qu’il nous faut renforcer.Une fois renforcées et lancées, nous pourrons voir de nombreuses étapes vers l’affirmation de l’unité du continent.Ca viendra.Pas tout de suite, c’est toujours assez loin dans le futur, mais c’est ce à quoi je travaille.J’ai toujours attendu que cela arrive, mais je ne peux pas l’attendre pour aujourd’hui ou pour demain : le chemin est encore long.