29 avril 2024

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Hommage à Maryse Condé

L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte à l’âge de 90 ans

Les admirateurs regrettent une “conteuse de talent”, un “phare de la littérature”.

Militants, personnalités du monde de la culture, anonymes… Les hommages à Maryse Condé affluent depuis l’annonce de la mort de l’écrivaine, décédée à 90 ans.

Maryse Condé s’est éteinte dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 avril 2024. Elle laisse un héritage littéraire immense. Sur les réseaux sociaux, les hommages se multiplient.

Plusieurs politiques se sont exprimés pour saluer sa mémoire. La ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, évoque sur X une “femme libre”, “figure majeure de la littérature francophone”. L’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, se dit “triste d’apprendre la disparition de Maryse Condé, grande voix de la littérature et du théâtre, voix universelle qui a refusé toutes les étiquettes, toutes les assignations”. 

“La littérature d’expression française perd un phare”, estime le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

Selon la Nouvelle-Académie, qui lui avait décerné le prix Nobel alternatif de littérature en 2018, Maryse Condé savait décrire “dans un langage précis (…) les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme”. Karfa Diallo, fondateur de l’association Mémoires et partages, qui travaille sur la mémoire de la traite et de la colonisation, ne dit pas autre chose. L’essayiste s’est dit “attristé” sur X. Il salue la “littérature” et “les engagements” de l’écrivaine, qui “ont pris en charge les héritages de l’Afrique, du colonialisme et de l’esclavage”.  

“Une grande Guadeloupéenne, une mère, une combattante”. C’est par ces mots que les lecteurs de l’écrivaine lui rendent hommage sur les réseaux sociaux. Ils saluent son style novateur. Aboubacar Demba Cissokho, admirateur sénégalais de Maryse Condé, parle sur X de “son souci de trouver et de placer le mot juste [qui] lui a fait tisser des récits dont la puissance saisit le lecteur le plus exigeant”.

GORDES , FRANCE – JULY 27: Portrait of the writer Maryse Condé at her home on July 27, 2021 in Gordes, France. She is approached for the 2021 Nobel in Literature (Photo by Arnold Jerocki/Getty Images)

La grande dame des lettres antillaises, Maryse Condé, s’en est allée dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 avril à l’âge de 90 ans, suite à une longue maladie dégénérative héréditaire, dite la « maladie des Bouclon », comme la romancière la désignait du nom de son père. Originaire de la Guadeloupe, née Maryse Liliane Appoline Boucolon, l’écivaine disparue était auteure d’une trentaine de titres, dont des romans, des essais et des titres pour la jeunesse.

Avec Aimé Césaire et Edouard Glissant, la Guadeloupéenne Maryse Condé a longtemps incarné la puissance et la créativité de la francophonie caribéenne. Romancière hors pair, elle a sur mettre en fiction la révolte et la pensée océanique de ses deux aïnés. L’auteur de Ségou, épopée romensque en deux volumes qui l’a fait connaître dans les années 1980, s’est éteinte à l’hôpital. Depuis 2013, elle s’y était retirée avec son mari Richard Philcox, après avoir séjourné un temps dans le Marais où elle s’était installée à son retour des États-Unis où elle a vécu et enseigné pendant près de trois décennies. Fondatrice du Centre des études françaises et francophones à l’université Columbia, elle avait contribué à faire connaître la littérature francophone aux Américains.

Richard Philcox, marié en secondes noces, partageait la vie de l’écrivaine depuis 1969. L’homme qui était devenu au fil du temps l’interlocuteur privilégié des journalistes qui voulaient rencontrer Maryse Condé, était manifestement beaucoup plus qu’un mari : il était aussi le traducteur attitré de ses romans pour la version anglaise, son secrétaire et peut-être même son infirmier dans les dernières années de la vie de la romancière clouée à son fauteuil roulant à cause de la maladie. Le couple s’était rencontré au Sénégal. C’est en Afrique que Maryse Condé a commencé sa carrière professionnelle d’enseignante et d’écrivaine. Il faudra un jour raconter l’histoire de leur couple, même si la romancière a toujours refusé de porter le nom de cet époux tendrement aimé, préférant garder celui de son premier mari, père de ses trois filles et grand-père de ses cinq petits-enfants.

Lauréate de nombreux prix (Prix de l’Académie française, Prix Carbet de la Caraïbe, Prix Marguerite Yourcenar, Grand Prix Littéraire de la femme, Prix Tropiques), Maryse Condé a obtenu en 2018 le prix Nobel alternatif de littérature pour son roman Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana (2017). Organisé de manière plus démocratique que le Nobel classique, avec un jury populaire de 32 000 personnes à travers le monde appelées à voter pour déterminer le lauréat, le Nobel alternatif a contribué au rayonnement international de l’œuvre de Maryse Condé, en attirant l’attention du grand public à l’écriture singulière et riche de la romancière guadeloupéenne.

La mère de l’auteure disparue était l’une des premières institutrices noires de l’île et son père, pupille de la nation, était banquier, un « self-made man ». Ils se désignaient comme de « Grands Nègres » et avait inculqué à leurs huit enfants l’ambition de réaliser leurs rêves et l’amour de la grande culture. La benjamine de la famille, Maryse a grandi au sein d’une fratrie turbulente et riche en potentialités intellectuelles. Une de ses sœurs faisait la médecine, son frère aîné deviendra le premier agrégé de Guadeloupe. Comment s’étonner alors que déjà à 10 ans, la petite Maryse avait lu tous les classiques français ? « A 12 ans, je connaissais tout Victor Hugo…  »

L’épisode structurant, il faudrait plutôt dire déstructurant, de cette époque tourne autour d’un cadeau d’anniversaire. Pour ses 12 ans, la jeune fille avait reçu de la part d’une amie de sa mère le grand roman de la Britannique Emily Brontë : Les Hauts de hurlevent. Le lendemain, après avoir passé toute la nuit à dévorer ce classique des lettres mondiales, elle s’était empressée d’aller remercier l’amie de sa mère pour son cadeau.

Maryse Condé raconte : «  Je lui ai dit : ” Un jour, moi aussi j’écrirai des livres. Je serai aussi connue et je ferai des livres aussi beaux que ceux d’Emily Brontë. ” Elle m’a dévisagée avec une sorte d’étonnement outré : ” Mais tu es folle ! Les gens comme nous n’écrivent pas ! ” Pour elle, écrire c’était l’affaire des Blancs, des hommes, éventuellement celle des femmes blanches qui vivent dans des grands pays comme l’Angleterre, les États-Unis ou la France. Cette remarque m’avait complètement anéantie. »

Détour par l’Afrique

En 1959, c’est dans les bras de l’acteur guinéen Mamadou Condé que la future romancière avait épousé à Paris, qu’elle débarqua en Côte d’Ivoire où elle travailla pour la Coopération française, avant d’aller s’installer en Guinée. Ce sont les années Sékou Touré. Derrière les slogans de l’égalité et du marxisme scientifique, s’organisait un régime totalitaire et prédateur qui s’appropriait les richesses du pays, alors que l’essentiel de la population vivait dans la misère noire. Au Ghana, où elle vécut un temps, se répétait la même histoire sous l’égide de l’administration fantasque de Nkrumah. Celle-ci sera renversée par un coup d’État et remplacée par un régime militaire, à peine moins fantasque et autoritaire que le précédent.

Dans son récit de mémoires, La Vie sans fards, Maryse Condé a raconté avec moult détails ses douze années de souffrances et galères dans une Afrique plongée dans ses propres malheurs. Les Africains n’avaient que faire de la quête des origines d’une Antillaise qui ne portait ni pagnes ni boubous et refusait obstinément de parler les langues du pays. Ce séjour en Afrique fut aussi pour la jeune Guadeloupéenne l’occasion de découvrir le fossé qui la séparait des Africains. Alors qu’en s’installant au continent noir, elle pensait voir s’instaurer spontanément les liens rompus par l’esclavage, sa présence ne suscitait que l’incompréhension et le rejet. Ce constat douloureux conduit la future romancière à s’interroger sur la validité des thèses de la négritude et à prendre ses distances par rapport à sa vision romantique de l’Afrique. « La couleur est un épiphénomène », aimait répéter Maryse Condé, faisant écho aux propos de Frantz Fanon, qui a exercé une influence majeure sur sa pensée.

De l’aveu même de la romancière, c’est dans cette dialectique identitaire que se trouve l’origine de son écriture. Elle y vient tardivement, à son retour en France au début des années 1970, après son divorce avec son premier mari, Mamadou Condé. Elle a puisé l’inspiration de ses premiers livres, notamment pour Hérémakhonon, qui est un récit quasi-autobiographique de sa vie en Guinée sous Sékou Touré. Ce premier livre sera suivi d’un roman historique en deux volumes, Ségou (1984-1985), lequel a ouvert à Maryse Condé les portes de la notoriété.

Après Ségou, tout se passe en effet comme si Maryse Condé avait fini de payer sa dette intellectuelle à l’Afrique. L’imagination de la romancière quitte désormais les rivages du continent noir pour investir les Antilles et l’Amérique. C’est une nouvelle étape dans son écriture. Elle tente alors de cartographier l’identité antillaise dans son ici et maintenant. Elle met en scène les tensions sociales à travers les sagas des grandes familles caribéennes (La Vie scélérate), évoque la résistance anti-impériale (Moi, Tituba, sorcière et La Migration des coeurs), élargit l’expérience antillaise en y faisant entrer celle d’une diaspora constamment confrontée à l’autre et appelée à se redéfinir (Desirada, Pays mêlé).

Une histoire faite de dominations et de souffrances que la Guadeloupéenne Maryse Condé connaissait bien. En tant que présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage, créé par le président Jacques Chirac, elle s’était chargée de soigner l’âme meurtrie de son peuple par des siècles d’esclavage. Ses outils pour réparer les maux de l’âme avaient pour nom « mémoire » et « éducation ». Apprendre le passé pour le comprendre. S’en souvenir pour ne jamais l’oublier. C’est en se basant sur les conclusions de son rapport circonstancié sur l’enseignement de ce passé traumatisant dans les écoles, que le gouvernement français a fixé le 10 mai comme journée de commémoration de l’esclavage, lequel avait déjà été institué comme crime contre l’humanité par la loi dite Taubira de 2001.

Elle laisse une œuvre magistrale, qui décrit « dans un langage précis (…) les ravages du colonialisme et le chaos du postcolonialisme », selon la Nouvelle Académie. Lue et étudiée dans le monde entier, la professeure à l’université Columbia, l’écrivaine voyageuse qui a habité à Paris, en Afrique, aux Antilles, aux Etats-Unis, la militante et grande romancière de la Guadeloupe avait dédié la récompense, longtemps désirée, à son « pays », qu’elle a rêvé indépendant sa vie durant.

Source : Médias