20 avril 2024

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Liberia Jewel Cianeh Howard à l’état civil

Au Liberia, tous les regards sont tournés vers la vice-présidente Jewel Howard-Taylor. Ex-femme du dictateur Charles Taylor,

Jewel Howard-Taylor : l’énigme des élections générales libériennes de 2023

Au Liberia, alors que se préparent les élections générales de 2023, tous les regards sont tournés vers la vice-présidente Jewel Howard-Taylor. Ex-femme du dictateur Charles Taylor, elle avait été colistière de Georges Weah et sa présence avait été déterminante dans l’élection de ce dernier. Seulement, à quelques mois du prochain scrutin, la presse locale fait état de tensions entre les deux personnalités.

En juin dernier, le président libérien Georges Weah avait fait une déclaration pour le moins énigmatique sur la présence de Jewel Howard-Taylor, l’actuelle vice-présidente, à ses côtés en tant que colistière pour les élections générales de 2023. « En 2017, Jewel Howard-Taylor et moi sommes venus ici dans le district de Salayea pour demander votre vote. L’équipe que vous avez élue est très bonne. Les gens disent que la vice-présidente est plus intelligente que moi, mais je me dis que je suis intelligent parce que j’ai choisi une vice-présidente très douée. J’aime travailler avec elle et j’espère que nous pourrons poursuivre cette relation au-delà de notre mandat actuel », a déclaré un George Weah visiblement pas serein.

« Les gens disent que la vice-présidente est plus intelligente que moi, mais je me dis que je suis intelligent parce que j’ai choisi une vice-présidente très douée.»

Artisane importante de sa victoire aux dernières élections, Jewel ne s’est pas encore prononcée sur sa présence à ses côtés en 2023. Une chose semble certaine, l’ex-épouse du dictateur Charles Taylor aura à nouveau un rôle important à jouer dans l’avenir du pays.

Des tensions avec le président ?

Le mariage de raison entre Georges Weah et Jewel Howard-Taylor avait bien fonctionné en 2017. Toujours très populaire, la colistière avait été d’une aide précieuse pour l’élection du Ballon d’or 1995.

Libéria Le mariage de raison entre Georges Weah et Jewel Howard-Taylor

En 2005, Weah n’avait obtenu que 10,7% des suffrages dans le comté de Bong, l’ancien fief de Charles Taylor. Lors du scrutin de 2017 où il était soutenu par Jewel, sénatrice du comté, il a obtenu plus de 40 % des voix. En décembre 2020 pourtant, la Coalition pour le changement démocratique (CDC) au pouvoir a perdu les sièges parlementaires des comtés de Montserrado et de Bong d’où viennent respectivement le président et la vice-présidente. Un désaccord entre les deux dirigeants aurait affecté les relations entre les partis constitutifs du CDC, et un conflit entre Jewel Howard-Taylor et Nathaniel McGill, le bras droit du président, diviserait le cabinet. Assez pour pousser la dame à s’éloigner de la coalition ? Quoi qu’il en soit, le président Weah sait que sa réélection serait plus compliquée sans sa vice-présidente, malgré la controverse qui entoure son patronyme.

Un patronyme au passé lourd

Née le 17 janvier 1963 à Zorzor au Liberia, Jewel Cianeh Howard à l’état civil, et alors étudiante à l’Université de Monrovia, rencontre Charles Taylor durant les années 80. Un nom qui réveille la mémoire de certaines des heures les plus sombres de l’histoire du pays. L’homme qui dirige à cette époque (depuis 1979) l’agence en charge des services généraux du gouvernement, est placé sous mandat d’arrêt est incarcéré par les services du président Samuel Doe. Il est accusé d’avoir détourné près d’un million de dollars. Il réussit à s’évader et à fuir aux États-Unis où Jewel Howard le suit dans son escapade. 

Cette année-là, Jewel Howard épouse Charles Taylor et reste son épouse jusqu’en 2006. Un statut qui lui colle à la peau et qui est loin de faire sourire l’électorat.

Si la jeune femme y reste pour poursuivre son cursus en économie, Charles revient au Liberia au début des années 90, à la tête du Front national patriotique du Liberia qui déclenche une guerre civile pour renverser Samuel Doe. Les organisations internationales accusent le groupe rebelle d’avoir commis viols, tortures, enrôlement d’enfants soldats, entre autres atrocités, pendant cette première guerre civile du Liberia qui dure de 1989 à 1997. Cette année-là, Jewel Howard épouse Charles Taylor et reste son épouse jusqu’en 2006. Un statut qui lui colle à la peau et qui est loin de faire sourire l’électorat.

Complice ou pas ?

Jewel affirmera des années plus tard ne pas avoir été au courant des agissements de Charles Taylor durant la guerre. « Pendant la crise, je n’étais pas dans le pays, je faisais des études, alors comment peut-on dire que j’étais impliquée dans la guerre ? » se justifie-t-elle. Pourtant, l’année de leur mariage était également celle des élections générales durant lesquelles le sinistre slogan de campagne « Il a tué mon père, il a tué ma mère, il a mon vote » était scandé, illustrant les craintes de la population quant à une probable replongée dans la violence en cas de non-élection de Taylor.

Libéria Jewel Howard épouse Charles Taylor en 1997 et reste son épouse jusqu’en 2006

Elle fut aussi notamment présente durant la seconde guerre civile qui dura de 1999 à 2003 et opposa le régime de son ex-époux au mouvement rebelle des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD). A l’époque, elle eut plusieurs fonctions officielles, notamment vice-gouverneure de la Banque nationale du Libéria (actuelle Banque centrale du Libéria), puis présidente de la Banque coopérative de développement agricole (ACDB).

Mais le règne de Charles Taylor finit par s’effondrer, harcelé de toutes parts par des mouvements armés soutenus par des pays étrangers. Finalement, il est obligé de quitter le pouvoir et de s’exiler au Nigeria. Jewel Howard-Taylor demande le divorce en 2006, mais conserve le nom de son ancien époux. 

La vie après Charles Taylor

En 2005, Jewel est élue au Sénat du Libéria dans le comté de Bong. Elle s’inscrit à l’université, et obtient le 21 décembre 2011 un diplôme de la faculté de droit Louise-Arthur-Grimes. En février 2012, elle tente de faire passer un projet de loi visant à rendre les relations homosexuelles passibles de la peine de mort. La loi n’est pas adoptée, notamment à cause la présidente Ellen Johnson Sirleaf qui s’y oppose.

En février 2012, elle tente de faire passer un projet de loi visant à rendre les relations homosexuelles passibles de la peine de mort. La loi n’est pas adoptée, notamment à cause la présidente Ellen Johnson Sirleaf qui s’y oppose.

Malgré tout, en 2014, en pleine crise d’Ebola, elle réussit à se faire réélire au Sénat, et son positionnement controversé sur l’homosexualité ne l’empêche nullement de gagner en popularité dans le pays. « J’ai fait des promesses dans l’éducation, la santé, le développement des infrastructures, et j’espère, au cours des douze dernières années, être devenue une personne travaillant pour la paix, la prospérité et le développement », confie-t-elle dans une interview.

« J’espère être devenue une personne travaillant pour la paix. »

En 2017, elle surprend en s’alliant à George Weah alors que beaucoup de monde l’annonce candidate. Sans jamais réussir à totalement se départir des questions sur sa complicité avec Charles Taylor, elle réussit à se créer une présence politique propre et assez forte pour se demander si elle sera alliée au président Weah ou candidate pour les élections de 2023. Une question à laquelle seuls les prochains mois pourront répondre.

Servan Ahougnon agenceecofin