16 juin 2024

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Félix Tshisekedi

RDC : FélixTshisekedi et la tentation de révision constitutionnelle

Cinq mois après sa réélection, le président Félix Tshisekedi a annoncé la mise en place d’une commission pour réfléchir à une nouvelle Constitution. Certains articles, comme la durée du mandat présidentiel, l’organisation des scrutins, le retour à la nomination des gouverneurs, seraient dans la balance. L’opposition soupçonne le chef de l’Etat de vouloir se maintenir au pouvoir.

« Ne faites pas de moi un dictateur s’il vous plaît ». Cette phrase choc du président Félix Tshisekedi à une question d’un membre de la diaspora congolaise, le 3 mai dernier à Bruxelles, est à la hauteur de la sensibilité du sujet évoqué : la modification de la Constitution. La question, pas si anodine que cela, a permis au chef de l’Etat de dérouler son idée d’une possible « mise à jour » de la Constitution qu’il juge « obsolète » et conçue pour faire la part belle aux belligérants » du conflit congolais. Notamment avec l’application du scrutin proportionnel. Cette sortie sur un thème aussi explosif, quelques mois à peine après sa réélection, pouvait difficilement être improvisée. D’ailleurs, le président Tshisekedi en a profité pour annoncer la création d’une commission nationale « appelée à réfléchir sereinement sur la manière » de doter le Congo « d’une Constitution digne de notre pays ».

Une Constitution qui lui interdit un troisième mandat

Devant les Congolais de la diaspora de Belgique, Félix Tshisekedi s’est aussitôt appliqué à désamorcer son annonce. « J’espère que ce n’est pas pour ce à quoi vous pensez ». Car évidemment, tout le monde a en tête la présidentielle de 2028, à laquelle le président actuel n’aura pas le droit de participer… justement à cause de la Constitution. Le nombre de mandats consécutifs étant limités à deux. Autant dire qu’un possible remaniement de la loi fondamentale a fait bondir les opposants et la société civile qui redoutent que Félix Tshisekedi cherche à s’accrocher à son fauteuil en voulant modifier le nombre des mandats, leur durée, ou le mode de scrutin. La révision de la Constitution pour se maintenir au pouvoir au-delà d’un deuxième mandat présidentiel est une des techniques les plus éculées sur le continent, comme on l’a récemment vu en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine ou au Togo.

Le président risque de diviser davantage la population

La création d’une commission pour réfléchir à une nouvelle Constitution inquiète l’opposition congolaise. Interrogé par Afrikarabia, Christian Mwando, président du groupe d’opposition Ensemble à l’Assemblée nationale, estime que le débat sur une modification constitutionnelle n’est pas opportun. « Le pays est en guerre et en pleine crise économique, et la priorité de Félix Tshisekedi devrait être de stabiliser le pays. Avec cette annonce, le président risque de diviser davantage la population ». Pour cet opposant, la stratégie du chef de l’Etat est claire. « Puisque Félix Tshisekedi est en début de mandat, nous le soupçonnons de vouloir passer dans une autre République qui pourrait lui permettre de briguer un nouveau mandat ». On se souvient que Joseph Kabila avait dû renoncer à modifier la loi fondamentale à la fin de son dernier mandat pour pouvoir se représenter. Cette fois, estime Christian Mwando, Félix Tshisekedi présente le projet dès le début de son deuxième mandat, « ce qui explique les tricheries lors des élections de décembre pour avoir une majorité écrasante au Congrès et modifier la Constitution sans difficulté. C’est une stratégie préparée de longue date ».

Ne pas prêter au président des intentions qu’il na pas

Du côté du gouvernement, on tente d’arrondir les angles. Sur la radio Top Congo, le porte-parole Patrick Muyaya parle d’une « mise à jour » de la loi fondamentale, écrite dans un autre temps après plusieurs années de conflit. Le ministre a tenté de rassurer en indiquant « qu’il ne fallait pas prêter au président de la République des intentions qu’il n’a pas ». Et de préciser qu’il y avait « des lignes rouges » tracées par les accords de paix de Sun city. « Je pense que ceux qui vont réfléchir, tiendront compte de tous ces éléments ». Ne souhaitant pas se prononcer sur les propositions qui seront faites par la Commission, Patrick Muyaya a tout de même lancé une piste de réflexion autour « du fonctionnement des provinces, et de l’efficacité des Assemblées provinciales ». En effet, durant le premier mandat de Félix Tshisekedi, les gouvernements provinciaux étaient régulièrement renversés par les députés, créant une forte instabilité institutionnelle. Le retour à la nomination des gouverneurs serait une des pistes envisagées. Mais attention, prévient Christian Mwando, « revenir à un système de nomination plutôt qu’au vote, cela qui veut dire changer fondamentalement la structure de l’Etat, ce qui nous ferait passer à une nouvelle République, et c’est très dangereux ».

Vers un mandat présidentiel de 7 ans

Au sein de l’Union sacrée (USN), la mise en place d’une commission de réflexion est surtout une bonne occasion de « consolider le fonctionnement des institutions ». C’est la position défendue par Jean-Thierry Monsenempwo, communicateur de la majorité et membre de la conférence des présidents, que nous avons interrogé. Et les idées ne manquent pas rendre la Constitution « plus efficace ». Tout d’abord sur la durée du mandat présidentiel. « Tous les 5 ans, il y a un vide. Le président, qui est investi le 20 janvier, attend que les autres institutions terminent leur cycle, et cela créer un blocage évident. Il pourrait y avoir un mandat de 7 ans pour le chef de l’Etat et de 5 ans pour le Parlement pour qu’il y ait chevauchement et que le président trouve déjà un Parlement fonctionnel à son arrivée ». L’article 217 est également sur la sellette. « Cet article stipule qu’au nom de l’unité africaine, il y est une possibilité que la RDC cède des pans de son territoire nationale pour certaines populations. Ce qui est inacceptable dans un contexte de conflit et de menaces de balkanisation. Un autre article fait état de la protection des ethnies minoritaires, ce qui prête à des interprétations négatives. La protection doit être globale ».

Réfléchir sur notre Constitution ne doit pas être lié au président Tshisekedi

Pour Jean-Thierry Monsenempwo, la question épineuse du coût des élections serait également à revoir. « Chaque cycle électoral coûte au bas mot 1 milliard de dollars dans un pays où on a un grand besoin de construction et de développement. Il faut des scrutins moins coûteux et qui demandent moins de logistique ». Ce membre de l’Union sacrée ne voit pas d’un mauvais oeil le retour de l’élection présidentielle à 2 tours, qui était une proposition du candidat Tshisekedi en 2018. « Mais la responsabilité reviendra à la commission et au Parlement ». Concernant les inquiétudes de l’opposition qui craignent un tour de passe-passe pour permettre à Félix Tshisekedi de se maintenir au pouvoir, Jean-Thierry Monsenempwo demande « à ne pas subjectiver le débat ». « Réfléchir sur notre Constitution ne doit pas être lié au président Tshisekedi. Il faut dépassionner le débat. Ces propositions seront soumises au Parlement, et c’est lui qui décidera. Nous souhaitons davantage d’efficacité, de cohérence et éviter les frustrations qu’il y a au lendemain des élections » revendique ce membre de l’Union sacrée.

L’opposition prête à descendre dans la rue

Pour l’instant, aucun calendrier n’est fixé pour la mise en place de cette commission. Mais si la majorité présidentielle venait à vouloir modifier la Constitution, l’opposition se retrouverait bien démunie au Parlement. Avec seulement 29 députés et 3 sénateurs, l’Union sacrée de Félix Tshisekedi contrôle, sur le papier, près de 98% des deux chambres. « Tout ce que l’on pourra faire, ce sera de recourir à la rue » se désole Christian Mwando qui estime que « les signaux sont clairs de la part du pouvoir » sur la volonté de modifier la Constitution.

SOURCE : Christophe Rigaud – Afrikarabia