26 avril 2024

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Mais où va le Burkina Faso.?

Mais où va le Burkina Faso ?

REVUE DE PRESSE. Après le coup d’État militaire contre la présidence Kaboré, les confrères africains s’interrogent sur les responsabilités et incertitudes du moment.

Alors que se joue actuellement la Coupe d’Afrique des nations au Cameroun, à quelques milliers de kilomètres s’opère une tout autre compétition : « la coupe d’Afrique de l’Ouest des coups d’État ». « Après un dribble diabolique qui a désarçonné la défense malienne et son libero, feu Ibrahim Boubacar Keïta, le colonel Assimi Goïta a adressé une courte passe au colonel Mamady Doumbouya, qui, après avoir donné le tournis à Alpha Condé […], a fait un long centre au colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui d’une tête imparable a cloué au pilori le gardien de but burkinabé Roch Marc Christian Kaboré. »

La métaphore du journal burkinabé Wakat Séra résume bien les péripéties politiques qui ont secoué la sous-région ces derniers mois. Après Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020 et Alpha Condé en septembre dernier, Roch Marc Christian Kaboré a donc lui aussi été contraint d’abdiquer face aux revendications d’une partie de son armée. Le 24 janvier, après deux jours d’incertitude autour de sa disparition, la lettre de démission du président a été publiée sur le compte Facebook de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB).

lettre de démission de Roch Marc Christian Kaboré de ses fonctions de Président du Faso

Des « frustrations au sein de la grande muette »

Pour le quotidien national Le Pays, ce putsch n’a « rien d’étonnant », car « les conditions semblaient toutes réunies pour ». Premier facteur à l’origine de la destitution du président : le malaise des militaires. D’après le journal, l’armée du président « va très mal ». Les mutineries du 23 janvier qui ont précédé le coup d’État traduisent bien « des frustrations au sein de la grande muette ». « Eux, les hommes du rang, ne sont plus prêts à aller au casse-pipe terroriste sans être dotés d’un certain matériel et viatique nécessaire », écrit le quotidien Aujourd’hui. Dimanche, l’armée a d’ailleurs réclamé dans un communiqué « des moyens adaptés à la guerre asymétrique contre le terrorisme et des effectifs conséquents », et « la formation du personnel adapté à la menace », notamment.

Des injonctions qui illustrent « l’exaspération » de l’armée burkinabée « en proie au mouvement djihadiste, qui a fait de nombreux morts dans les rangs des forces de défenses et de sécurité », rappelle le quotidien ivoirien Fraternité Matin. Cette « irruption des militaires sur la scène politique du Faso » traduit « l’incapacité du régime au pouvoir à faire face aux djihadistes », affirme l’article, qui rappelle que le nouvel homme fort du pays, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, « était de 2015 en 2019 le responsable des militaires dans les régions du Sahel et du Nord ».

Depuis maintenant sept ans, le Burkina Faso est en proie à de régulières attaques terroristes sur son sol. Malgré les moyens – militaires et financiers – déployés sur le terrain. Le 15 janvier dernier, le village de Namsiguia, situé dans la province du Bam, au nord du pays, a de nouveau été la cible d’une attaque terroriste meurtrière perpétrée par un groupe d’individus lourdement armés. Le bilan provisoire fait état de neuf civils tués et de nombreux blessés. D’après les habitants, qui avaient lancé un appel à l’aide la semaine précédant l’assaut, « Namsiguia a subi en 2021 une trentaine d’incursions d’hommes armés ». Cette insécurité constante, fruit de « la mauvaise gestion de la crise sécuritaire par la hiérarchie militaire et in fine par le gouvernement », a naturellement poussé la hiérarchie militaire à passer à l’acte, explique Le Pays.

Les chefs d’État ouest-africains responsables ?

Une analyse partagée par Le Djely, pour qui « les dirigeants qui se sont retrouvés au sommet des États ces 20 dernières années y sont pour beaucoup » dans la dégradation de la situation actuelle. « Aussi paradoxalement que cela puisse l’être », « eux qui auraient dû être la solution ne l’ont été en rien », écrit le journal guinéen, qui fustige la « décadence éthique dans la gestion » des pays concernés. Parmi les responsables de « ce recul préjudiciable », l’article cible en particulier les présidents guinéen et ivoirien Alpha Condé et Alassane Ouattara. « Le fait que ces deux anciens opposants martyrisés ont fait le choix, avec une arrogance assumée, de s’offrir de troisièmes mandats » a mis à mal « le vivre-ensemble dans leurs pays respectifs, et a en outre aidé à faire germer une défiance de l’État sans précédent. »

Mais, pour le média guinéen, « ces tares », » tous les dirigeants des pays ouest-africains les ont en partage ». « Douillettement installés tout en haut de leur trône, ils sont tous coupés de leurs compatriotes. Avec le sentiment d’être hyperprotégés par leurs gardes prétoriennes, entraînées et équipées, de leurs demeures cossues aux allures de forteresse, ils n’entendent guère les cris de douleur et les complaintes de leurs compatriotes, ployant sous le poids d’une pauvreté imméritée. Rien d’étonnant également que, partout, l’armée veuille exploiter ce fossé entre les dirigeants et les populations », conclut le journal. Même son de cloche du côté du média malien Le Pays, qui résume : « Les dirigeants politiques de la sous-région doivent savoir que ces multiples coups d’État sont synonymes de leur échec. »

Après le putsch, une période d’incertitudes

En attendant, et quelles que soient les raisons qui ont mené les militaires à prendre le pouvoir par la force, « ce coup de force ouvre une nouvelle période d’interrogations pour le pays des Hommes intègres. Quels lendemains pour le Burkina Faso ? » s’inquiète Le Pays burkinabé. « Maintenant qu’ils ont déserté le front, qui va combattre les terroristes et bandits qui écument le Burkina et ses voisins qu’ils endeuillent au quotidien ? » s’interroge quant à lui Wakat Séra, qui – dans l’article « Le variant Assimi Goïta se propage dangereusement » – se soucie aussi du « devenir des pays du G5 Sahel, dont trois sur cinq, en l’occurrence le Mali, le Tchad et maintenant le Burkina Faso, sont dirigés par des juntes militaires ».

Même inquiétude pour L’Observateur paalga, qui craignait déjà dimanche, veille du coup d’État, que ce « départ de feu kaki » ne prenne « très vite des proportions incontrôlables ». Le média burkinabé était catégorique : « Un putsch dans la situation actuelle […] serait une mauvaise solution à un vrai problème, ce serait ajouter du chaos au chaos ! » Et d’ajouter : « Sauf à être animé d’une ambition dévorante, quel officier sensé voudrait aujourd’hui s’embarquer dans une telle aventure sans issue ? » Dans un article intitulé « On a des raisons d’avoir peur », Le Pays lui aussi assurait dimanche soir que « l’impact sur la lutte contre le terrorisme risqu[ait] d’être désastreux ». « Déjà, la situation est des plus préoccupantes. Il faut donc éviter de tirer sur l’ambulance. »

Une remise en question des systèmes politiques africains

Si le coup d’État burkinabé renvoie Roch Marc Christian Kaboré à ses échecs, il constitue aussi « un pied de nez à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) », « loin de faire peur avec ce coup de force qui intervient au lendemain de lourdes sanctions prises contre le Mali », déplore Le Pays. « De quoi s’interroger sérieusement sur l’avenir de cette institution qui, malgré ses limites et les reproches, semble décidée à jouer son rôle de vigie de la démocratie », peut-on lire dans l’article.

Pour Le Djely, c’est « l’incapacité de l’organisation sous-régionale à tenir tête » à Alpha Condé et Alassane Ouattara [dans leur course au troisième mandat, NDLR] qui a accéléré son « discrédit ». Aujourd’hui, « personne ne veut plus écouter ce qui émane d’elle ». Et « ses sanctions impopulaires encouragent plutôt les coups d’État au lieu de les empêcher. La Cedeao, cet « éternel arbitre qui siffle toujours en retard, gérant les conséquences en ignorant les causes des fautes », d’après Wakat Séra, « doit revoir sa copie ».

Autre sujet à questions, le système électoral en place sur le continent. « Il y a lieu de s’interroger sur les fondements de ces coups d’État récurrents en Afrique » alors même que les présidents concernés, « d’Amadou Toumani Touré à Alpha Condé, en passant par Ibrahim Boubacar Keïta », avaient été « confortablement réélus » au préalable, rappelle Le Pays. Réformer les élections « de fond en comble » est une des pistes de solution qu’il propose. D’après le journal, « les vrais leviers de la victoire résident dans les capacités financières » des candidats. « N’importe quel quidam pouvant être riche, soit par héritage, soit par des moyens à la légalité douteuse, peut se faire élire ou contribuer à l’élection d’un candidat pouvant se révéler notoirement inapte à la fonction ».

« Si le jeu électoral est faussé à la base […], peut-on véritablement s’étonner de la suite ? » s’interroge-t-il. « Il est temps, donc, pour les Africains, de tirer leçon des coups d’État » et de « revoir le système électoral. C’est à ce prix que l’Afrique pourra véritablement construire une démocratie qui résiste aux coups d’État ». Un appel lancé aussi par Le Pays Mali. « Si les dirigeants de la Cedeao ne changent pas leurs stratégies, il y aura un autre coup d’État dans un autre pays membre. Il revient, aujourd’hui, au président de la République du Niger, Mohamed Bazoum, de ne pas faire les mêmes erreurs que les Roch Marc Kaboré. » Au risque, lui aussi, de devoir présenter sa démission sur le seul canal de communication encore à sa disposition, la page Facebook de la RTB.

Par Marlène Panara lepoint.fr