24 avril 2024

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Le Volcan Nyiragongo

Volcan Nyiragongo. Quatre questions pour comprendre la catastrophe qui se joue

Le magma du volcan africain Nyiragongo continue de menacer la région de Goma en République démocratique du Congo. Trente-quatre personnes sont mortes et près de 400 000 ont été évacuées depuis jeudi à l’appel des autorités. Une évolution selon un scénario « catastrophe » n’est pas exclue dans les jours à venir.

La plupart des magasins, banques, et commerces du centre-ville sont restés fermés. Goma, en République démocratique du Congo (RDC), retenait encore son souffle, ce vendredi 28 mai, près d’une semaine après la soudaine montée d’activité du Nyiragongo, le volcan voisin. Au cours du week-end dernier, des coulées de lave se sont échappées des flancs, dont l’une est venue s’immobiliser dans les faubourgs nord-est de la ville. Au moins 34 personnes sont mortes, entre 900 et 2 500 habitations ont été détruites.

Jeudi, les autorités ont ordonné l’évacuation de près de 400 000 habitants. Car s’il n’y a plus de coulées, le danger guette toujours. Il se trame en profondeur, où le magma menace de pousser à nouveau vers la surface… Ouest-France fait le point sur la situation.

Que sait-on du volcan Nyiragongo ?

Le Nyiragongo a fasciné des générations entières de volcanologues. C’est l’un des deux volcans en activité de la chaîne des Virunga, en RDC. Il se situe à une petite dizaine de kilomètres au nord de la ville de Goma et constitue une menace directe pour environ 1,5 million d’habitants de la zone.

Culminant à 3 470 mètres, il est connu pour abriter le plus grand lac de lave quasiment permanent au monde, dont le niveau monte et redescend de temps à autre. Ce n’est pas le plus explosif du globe, mais sa dangerosité est importante du fait de sa proximité avec la population et de ses coulées de lave pouvant dévaler les pentes à plus de 60 km/h. « C’est comme un château d’eau rempli de lave avec une ville en contrebas. Un château d’eau qui peut déborder ou se percer », schématise pour Ouest-France Patrick Allard, volcanologue à l’Institut de physique du globe de Paris et président de l’Association internationale de volcanologie.

Sa dernière éruption remontait à janvier 2002. Le volcan avait alors craché un nuage de cendres de 3 km de haut et déversé entre 15 et 25 millions de mètres cubes de lave sur la ville de Goma. Il avait tué plus de 100 personnes et dévasté le centre de Goma, détruisant près de 14 000 habitations et laissant 130 000 personnes sans abri. De 300 000 à 500 000 personnes avaient été déplacées au Rwanda voisin.

Une précédente éruption, en janvier 1977, avait été encore plus meurtrière. La lave avait atteint aussi Goma et entraîné la mort de plusieurs centaines de personnes dans la périphérie nord de la ville. Il s’agit de la coulée de lave la plus meurtrière connue, ainsi que le plus gros débit (environ 20 millions de mètres cubes en une demi-heure).

Que s’est-il passé depuis l’éruption survenue le week-end dernier ?

Autre caractéristique du Nyiragongo : il appartient à la vallée du Rift est-africain, une gigantesque faille en profondeur le long de laquelle s’écartent deux parties de l’Afrique, du Mozambique jusqu’à l’Éthiopie. « Le problème avec ce Rift, c’est que de temps en temps, il s’écarte, il bouge. Ce travail peut faire monter la pression de magma dans le volcan et créer des fractures dans l’édifice volcanique qui vont drainer le magma. C’est ce qu’il s’est produit soudainement cette nuit de janvier 1977 où les coulées de laves ont été extrêmement meurtrières. Cela s’est reproduit en 2002 en faisant moins de victimes car l’événement a eu lieu de jour, rembobine Patrick Allard. Cette fois, c’est légèrement différent car le volcan ne s’est pas fracturé dans sa partie haute mais plutôt dans la partie basse, où la pente est moins raide, avec des coulées moins importantes et moins rapides. »

Si les coulées en surface ont été limitées, c’est le phénomène à l’œuvre sous le sol qui préoccupe les scientifiques. « Dès la fin des coulées, une violente crise sismique a commencé avec des tremblements de magnitude 3 à 5 sur l’échelle de Richter, décrit Patrick Allard, qui fait partie du groupe d’experts internationaux qui aide l’Observatoire volcanologique de Goma. En association avec cette crise sismique, on s’est aperçu qu’il y avait des déformations importantes dans le sol indiquant la migration d’un filon de magma souterrain vers le sud en passant sous Goma et en direction du lac Kivu qui borde la ville. Il évolue entre 2 et 4 kilomètres sous la surface. Il fait une quinzaine de kilomètres de long. Il contient environ 150 millions de m³ de magma, beaucoup plus que ce qui est sorti sous forme de coulées de lave. »

C’est quoi l’éruption limnique, la pire évolution crainte par les autorités ?

Ce magma souterrain fait planer plusieurs risques pour les jours à venir. « Le premier scénario, c’est une éventuelle remontée du magma à travers des fissures à Goma, qui pourrait former des coulées, voire provoquer des explosions en interagissant avec de l’eau souterraine ou en surface », indique Patrick Allard. « C’est un danger courant sur les volcans. C’est essentiellement pour ces raisons-là que les autorités ont évacué préventivement une partie de la population », observe-t-il.

Le deuxième scénario est rare mais bien plus « catastrophe » selon l’expression des autorités locales. C’est ce qu’on appelle une éruption limnique. « Le magma, se propageant sous la surface du lac Kivu, arriverait à remonter vers le fond. La chaleur déstabiliserait alors les profondeurs du lac, faisant remonter le gaz carbonique et le méthane qu’il renferme. Un nuage pourrait alors être relâché dans l’air. En fonction du vent il pourrait attendre les rives », développe Patrick Allard.Les dégâts du CO2, incolore et inodore, seraient alors inouïs pour les hommes et les animaux sur son passage. « Au-delà de 10 à 15 % de CO2 dans l’air, le cœur s’arrête de battre et vous mourez », signale le spécialiste.

Ce phénomène a déjà frappé le Cameroun un soir d’août 1986. Les remontées du lac Nyos, situé sur les flancs d’un volcan inactif, ont tué près de 1 800 habitants et décimé plusieurs milliers de têtes de bétail. Patrick Allard estime que ce n’est « pas le risque le plus probable » à Goma. Il s’appuie sur la réduction de l’activité sismique observée au cours des dernières heures. « Cela témoigne de la diminution de l’avancée du filon, comme si le magma avait plutôt tendance à s’enfoncer et qu’il y avait un peu moins d’énergie », note le volcanologue. « Des collègues belges ont débarqué sur place et ont déjà fait des contrôles de la stabilité du lac. Pour l’instant, ils n’ont vu aucune perturbation », ajoute-t-il.

Combien de temps la menace va-t-elle peser sur la région ?

« On ne peut pas dire pour le moment. Ça peut s’arranger d’ici une semaine ou durer plus d’un mois. Le suivi sera quotidien », affirme Patrick Allard. Le « point de sortie des laves n’est pas prévisible pour le moment », la population doit « rester vigilante et à l’écoute des informations transmises », alors que la situation « peut évoluer rapidement », ont souligné vendredi les autorités.

En attendant de pouvoir regagner leur ville, les habitants vivent là où ils peuvent. De nombreux véhicules ont pris la route de Sake (sud-ouest de Goma), en direction de la région de Masisi. D’autres voitures allaient vers la frontière rwandaise toute proche. Enfin, des centaines de personnes ont embarqué par bateau au port de Goma pour Bukavu, à l’extrémité sud du lac Kivu, long de plus de 80 km. « Les populations commencent à s’installer dans les sites, ce qui va faciliter l’assistance du gouvernement et des humanitaires », ont assuré les autorités.

Cette catastrophe naturelle survient alors que ce pays d’Afrique orientale domine la liste annuelle des crises les plus négligées de la planète dressée par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Il déplore un manque d’attention médiatique, d’initiatives diplomatiques et de soutiens financiers. « La RD Congo est une des pires crises humanitaires du 21e. Une combinaison mortelle de spirale de la violence, de niveaux records de la faim et de négligence totale a déclenché une méga-crise qui mérite une méga-réponse », a alerté, jeudi, le secrétaire général de l’ONG, Jan Egeland.

Source: Ouest-FranceTony FABRI, avec AFP.