24 avril 2024

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Simandou secteur minier

secteur minier, qui représente 35 % du PIB de la Guinée

Mines : les engagements fluctuants de la junte guinéenne

Depuis le coup d’État de 2021, les nouveaux dirigeants de la Guinée ont promis que le secteur minier participerait davantage au développement du pays. La réalité fiscale est en train de s’imposer.

L’approche de plus en plus nationaliste de la junte à l’égard du secteur minier, qui représente 35 % du PIB de la Guinée, a fait naître l’espoir que la dernière prise de pouvoir militaire du pays apportera quelque chose de positif.

La Guinée abrite une grande variété de minéraux précieux et de haute qualité. Elle est le deuxième producteur mondial de bauxite, avec environ 22 % de la production mondiale. Elle abrite la plus grande réserve inexploitée de minerai de fer au monde. La Guinée est également le septième plus grand producteur d’or en Afrique et possède des réserves de diamants de 30 à 40 millions de carats.

«Si les revenus miniers ne sont pas distribués efficacement, le rêve des Guinéens de voir leurs vastes richesses minières se traduire par des opportunités de développement risque de rester lointain».

Ces ressources sont vitales pour l’économie. Le secteur minier a fourni 544 millions de dollars aux comptes du gouvernement en 2018, soit plus de 30 % du budget de l’État. Mais malgré cette richesse minière quasi inégalée, la Guinée reste l’un des pays  les moins développés de la planète.

Les Guinéens sont depuis longtemps frustrés par le fait que les richesses dont ils jouissent ne parviennent pas à la population. C’est en grande partie le résultat des scandales de corruption et de la mauvaise gestion du secteur minier. En 2017, le ministre des mines a été condamné pour avoir reçu des millions de pots-de-vin en échange de contrats miniers.

Pendant ce temps, le projet de la mine de Simandou a été bloqué à plusieurs reprises. Le site disposerait de la réserve de minerai de fer la plus importante et la plus pure au monde. Ce projet est proche de la psyché nationale et est dans les cartons depuis 25 ans, mais il n’a pas progressé assez rapidement pour les Guinéens.

Le président Condé avait également permis à de nombreuses sociétés minières d’exercer leurs activités sans respecter les droits de l’homme ou l’environnement et les a souvent aidées à échapper à l’examen public en leur permettant de garder confidentiels les audits de leurs opérations.

« Le suivi des projets miniers a été négligé pendant longtemps », note Mohamed Cisse, associé au programme Guinée du Natural Resource Governance Institute. « Avant le coup d’État, plus de 95% des sociétés minières en Guinée ne respectaient pas les différentes lois. »

Martin Roberts est directeur associé chez S&P Global Market Intelligence. Il explique : « Un rapport du FMI, cinq mois avant le coup d’État, soulignait que la plupart des contrats signés depuis l’introduction du code minier une décennie plus tôt étaient loin d’être conformes. Certaines sociétés étaient perçues comme falsifiant leurs transactions avec des filiales pour concentrer les bénéfices dans des juridictions à faible fiscalité, par exemple. »

L’exploitation minière dans l’intérêt de la Guinée

Le chef de la junte, Mamady Doumbouya, cherche à changer cette dynamique. Attirant l’attention de nombreux Guinéens qui ont le sentiment d’avoir été spoliés des richesses de leur pays pendant des décennies, il a déclaré à plusieurs reprises que le secteur serait dorénavant « dans l’intérêt de la Guinée ».

Cela a entraîné une série de nouvelles réglementations qui ont surpris les investisseurs. En particulier, Mamady Doumbouya a dirigé d’une main de fer le projet de Simandou, refusant d’autoriser les entreprises à progresser jusqu’à ce que les conditions d’une coentreprise soient convenues et que le financement et les bénéfices soient répartis de manière adéquate et équitable pour la Guinée.

« La junte s’est montrée plus agressive et plus claire dans ses exigences à Simandou », déclare Jim Wormington, chercheur principal et avocat à Human Rights Watch. Cette approche a entraîné des arrêts répétés du projet depuis son arrivée au pouvoir et des menaces selon lesquelles Doumbouya trouvera d’autres entreprises pour mener à bien le projet.

Les négociations semblent avoir enfin progressé, à la suite d’une visite d’État de dix jours de la Guinée en Chine – où sont basés trois des quatre principaux actionnaires –, en janvier. Le projet devrait reprendre en mars, mais de nouveaux retards sont à prévoir si les entreprises ne se soumettent pas aux conditions de la Guinée.

Simandou n’est pas le seul projet à avoir été affecté par une série de nouvelles exigences de la junte au pouvoir. En avril 2022, la junte a ordonné aux sociétés minières de développer des raffineries locales pour la bauxite. Elle a exigé que les entreprises présentent un calendrier précis de construction des raffineries avant la fin du mois de mai de la même année, sous peine de graves conséquences.

« Condé faisait pression pour que les entreprises raffinent leurs produits localement, explique Jim Wormington, mais la junte a été plus ferme jusqu’à présent. » Parmi les autres nouvelles réglementations, il est prévu que la valeur des minéraux extraits soit calculée par le gouvernement plutôt que par les sociétés minières, comme cela a toujours été le cas, afin de garantir que le niveau d’imposition approprié soit payé.

Le chef de la junte guinéenne, le colonel Mamady Doumbouya, se présente avant une parade militaire à Bamako, le jour de la célébration de l’Indépendance.

La junte a également cherché à amplifier les réglementations en matière de contenu local et à augmenter le seuil minimum de partenariat avec les entreprises guinéennes. « Le gouvernement a fait adopter rapidement par le parlement provisoire du CNT (Conseil national de transition) une nouvelle loi sur le contenu local le 22 septembre », explique Martin Roberts. « Celle-ci est destinée à identifier clairement les rôles qui doivent être réservés aux ressortissants guinéens, ainsi qu’à fixer les règles relatives à leurs salaires et à leurs conditions de travail. »

Tout ce qui brille n’est pas or

Mais les efforts de Doumbouya ne seront peut-être pas la solution miracle qui boostera les perspectives de développement de la Guinée au cours des cinq prochaines années. « C’est la même situation qui prévaut », explique Amadou Bah, directeur exécutif d’Action Mines Guinée, une ONG qui cherche à améliorer le développement durable du secteur minier. « Même si Doumbouya s’est engagée dans la bonne rhétorique, rien n’a beaucoup changé. »

Bien que la junte ait ordonné aux entreprises de se conformer aux nouvelles réglementations, elle n’a souvent pas réussi à punir celles qui ne les respectent pas.

« Il y a un décalage entre ce que la junte a dit en public et ce qui se passe dans la pratique », déclare un expert minier. « Elle a menacé de tout faire jusqu’à l’expropriation pour punir ceux qui ne se conformeraient pas à ses exigences, mais cela ne s’est pas concrétisé. »

Malgré les déclarations du gouvernement actuel, « il reste à voir s’il fera davantage pour mettre en œuvre et faire respecter les dispositions relatives au contenu local », ajoute Mohamed Cisse. De nombreuses sociétés minières continuent de fonctionner normalement, malgré le flot de discours et de décrets exigeant des contributions plus concertées au développement de la Guinée.

Cet assouplissement est probablement dû au fait que la junte comprend de mieux en mieux à quel point l’économie guinéenne est dépendante du secteur minier. « Le gouvernement de transition abandonne progressivement sa ligne dure à mesure qu’il prend conscience de l’ampleur de sa dépendance à l’égard de l’industrie minière pour obtenir des revenus essentiels », explique Martin Roberts. « Lors d’une conférence minière organisée à la hâte le 31 août 2022, le nouveau Premier ministre intérimaire, Bernard Goumou, a clairement indiqué que les accords et conventions existants seraient respectés. »

Il se peut également que l’on se rende de plus en plus compte à quel point les demandes de la junte sont irréalisables. Par exemple, il est impossible d’exiger que les mineurs commencent immédiatement à travailler sur les installations de traitement locales sans une alimentation électrique plus fiable en Guinée. De même, il est difficile de faire participer les entreprises locales aux projets miniers sans offrir de meilleures possibilités d’éducation et de formation aux Guinéens.

Jusqu’à présent, Doumbouya a semblé générer des recettes fiscales légèrement meilleures grâce au secteur minier – passant de 1,7 % du PIB en 2020 à 2,1 % en 2021, selon la Banque mondiale – mais il n’est pas certain que ses actions fassent beaucoup plus que cela. Même si Doumbouya parvenait à faire fructifier les ressources naturelles de la Guinée, il n’est pas encore certain que la population en bénéficiera véritablement.

« D’un point de vue pratique, estime Jim Wormington, tant que la gouvernance n’est pas réglée, il est difficile de voir un réel changement positif… » À son sens, l’hypothèse selon laquelle ces mesures sont bonnes pour la Guinée doit supposer, en premier lieu, que les revenus miniers sont redistribués efficacement.

« Il est peu probable que de petites promesses ou de petits changements aient un effet important pour les Guinéens ; il est irréaliste de s’attendre à ce qu’un seul projet minier, même de l’envergure de Simandou, puisse changer radicalement la vie des Guinéens. »

@AB