28 mars 2024

leun2trois.com

Comprendre pour informer pour rendre compte de ce qui se passe dans le monde

Etreinte-Marna-Clarke

Etreinte-Marna-Clarke La vieillesse est un voyage

La vieillesse est un voyage

«À mes 70 ans, j’ai placé mon appareil photo sur un trépied, j’ai acheté un petit appareil qui, lorsqu’il était enclenché, déclenchait électroniquement l’ouverture et la fermeture de l’obturateur. Armée de cet équipement, j’ai commencé à photographier mon visage, mes cheveux, mes yeux, mes mains, mes épaules, mon torse, mes pieds, mon dos, mes jambes, tout mon corps en gros, sans vêtements. J’avais passé la majeure partie de ma vie à penser que j’étais grande, alors que je ne le suis pas du tout. Ces photos m’ont permis de mettre fin à cette fausse idée.»

«La photographe en moi recherchait une belle lumière pour ces images et les composait avec soin pour les rendre intéressantes. Je les ai imprimées et les ai montrées lors d’un cours que je suivais avec la photographe Janet Delaney. Nous devions apporter de nouveaux travaux chaque mois et c’était le mien. J’étais curieuse de savoir quels seraient les commentaires… et nerveuse à l’idée de partager un travail aussi intime.»

«Étreinte» | Marna Clarke

«Les réactions ont été très positives. J’ai été encouragée à continuer à expérimenter différents éclairages, différentes poses, incluant éventuellement Igor également, avec et sans vêtements. Ces images concernaient la physicalité de nos corps et n’étaient pas destinées à être séduisantes. J’ai alors commencé à nous mettre en scène, le plus souvent habillés, dans des scènes domestiques. Si je voyais quelque chose se produire au cours de nos activités quotidiennes que je trouvais particulièrement inhabituel ou poignant, je saisissais mon appareil photo et l’enregistrerais tout de suite, ou je sauvegardais l’idée et l’exécutais peu de temps après.»

«Changer une ampoule» | Marna Clarke

«J’ai toujours pris plusieurs photos en changeant de position et en faisant des ajustements. Je regardais l’écran à l’arrière de l’appareil photo et vérifiais la mise au point, l’éclairage, le mouvement, les éléments distrayants superflus que je pouvais éliminer. Même si Igor était généralement coopératif, il y avait des moments où il ne l’était pas.»

«Nous photographier a été un moyen de reprendre le contrôle sur ma vie, car ces images sont mises en scène. Vieillir exige de reconnaître la vérité, qu’il s’agisse de limitations physiques ou mentales, ou de situations personnelles, afin de vivre avec des attentes réalistes, d’accepter de ne pas avoir un contrôle total et d’apprendre à vivre avec cette connaissance, avec le changement, avec ce que nous pouvons contrôler –ou non. Je pense que le changement est particulièrement difficile avec l’âge. Le familier est si réconfortant. Le changement nous isole encore plus et nous rappelle que nous sommes vieux. La technologie en est d’ailleurs un parfait exemple!»

«Ce projet a certainement énormément enrichi ma relation avec Igor, en offrant beaucoup de défis et en nous permettant de grandir en tant que couple. On m’a dit un jour que nous entrions inconsciemment dans des relations pour en savoir plus sur nous-mêmes. En invitant Igor dans mon propre projet créatif, j’ai dû faire face à sa réticence à être vu comme un vieil homme, avec une apparence qu’il n’aimait pas toujours. J’applaudis son courage et sa volonté d’être vulnérable. J’ai aussi la même aversion dans une certaine mesure, mais je suis aussi la créatrice, donc mon travail consiste à choisir ce qui est nécessaire et approprié. Nous nous étions mis d’accord dès le début sur le fait que je n’inclurai rien sans sa permission. Quelques images ont donc été jetées.»

La vieillesse est un voyage

«Lors de mes expositions, de nombreuses personnes âgées m’ont exprimé leur gratitude d’avoir mis au premier plan la question du vieillissement, et certaines ont souligné leur sentiment d’être “vues” par ce travail. Plusieurs m’ont dit avoir été touchées, car mon travail faisait écho à ce qu’elles traversent elles-mêmes. J’ai ainsi pris conscience de l’impact que ce travail a eu sur les personnes âgées, à quel point elles sont/nous sommes avides de reconnaissance. J’ai aussi appris que la nudité non sexuelle était appréciée pour son naturel. Ce fut un voyage intéressant et douloureux pour moi.»

«Ce projet m’a aidée à acquérir une perspective sur moi-même qui en dit long sur de nombreux aspects du vieillissement. Vieillir crée des changements et en ayant documenté certains d’entre eux, je peux voir ce que le temps m’a fait physiquement et l’accepter en tant que processus naturel qui fait partie de mon histoire. À l’intérieur, je ressens à peu près la même chose, mais à l’extérieur, je vois que le passage du temps a altéré mon physique. J’apprends à accepter mon vieillissement comme faisant partie de la vie.»

«Jambes» | Marna Clarke

«Igor avait grand besoin d’une opération de la cataracte et l’a reportée pendant des années. Lire sans l’aide de lunettes ou de loupes était devenu impossible pour lui. Il avait besoin d’utiliser les deux pour lire le moindre mot et d’être dans une lumière vive. Igor est décédé en août dernier, à l’âge de 93 ans. Être témoin de sa mort a atténué bon nombre des peurs que j’avais de mourir. Le mystère et la magie de son être présent, puis absent, est profond, et c’est l’une des expériences les plus profondes de ma vie.»

«Vide» | Marna Clarke

«J’ai maintenant l’intention de continuer à documenter mon propre vieillissement, de montrer ce que je vis sans Igor… et je ne sais pas exactement comment cela se manifestera, car je pleure Igor mais aussi la fin d’une époque pour moi. L’avenir est incertain.»

Par Fanny Arlandis Slate