20 avril 2024

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Hadja Aicha Bah Diallo

"Si je n'avais pas été à l'école, je serais en train de traire les vaches au village"

Interview avec Aïcha Bah Diallo, ancienne ministre guinéenne de l’Education .

Interview avec Aïcha Bah Diallo, ancienne ministre guinéenne de l’Education et ancienne sous directrice générale pour l’Education au sein de l’Unesco. Dans son pays, Aïcha Bah Diallo a lutté pour l’amélioration de la scolarisation des filles. Son combat a fait des émules hors de son pays et elle n’est pas près de s’arrêter dans sa lutte pour l’épanouissement des femmes.

On l’appelle la championne de l’éducation des filles et elle a reçu pour cela plusieurs distinctions. Aïcha Bah Diallo est notre invitée de la semaine. L’ancienne ministre de l’Education en Guinée a lutté dans son pays pour la scolarisation des jeunes filles. Elle a notamment œuvré à ce que les filles enceintes ne soient pas renvoyées de l’école pendant leur grossesse. Un combat qui fait des émules ailleurs, loin de la Guinée. L’ancienne sous-directrice générale pour l’Education de l’Unesco, Aïcha Bah Diallo, est interrogée par Reliou Koubakin. 

Entretien

DW : Bonjour, Madame la ministre, quelles tendances observez-vous au sujet de la scolarisation des jeunes filles en Afrique de l’Ouest ?

Aïcha Bah Diallo : Eh bien, il y a beaucoup de progrès, depuis Dakar en 2000, il y a eu beaucoup de progrès. Mais selon l’institut de statistiques de l’Unesco, bien que la parité soit presque atteinte au niveau du primaire et un peu au niveau du secondaire, nous avons toujours 97 millions d’enfants en âge de fréquenter l’enseignement primaire ou secondaire qui ne sont toujours pas scolarisés. Et parmi eux, 51,7 millions sont des filles : ça c’est en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Et donc on a encore beaucoup à faire.

Parfois, les filles sont obligées de quitter l’école parce qu’elles tombent enceintes et donc sont renvoyées par l’établissement scolaire. Est-ce que le phénomène est marginal en Afrique de l’Ouest ?

C’est en train de changer, justement, heureusement. Il y a quand même l’impact de la Covid-19. Vous savez que l’impact de la Covid-19 a été terrible au niveau des pays africains parce qu’on a fermé les écoles et on a constaté que, par exemple, au niveau du pré-scolaire et du secondaire, 128 millions d’enfants ont été affectés par la fermeture des classes.

Il est vrai quand même que certains pays, avec l’appui de leurs partenaires, ont mis en place une stratégie pour assurer une continuation éducative aux élèves en utilisant soit la radio, soit la télévision, soit les plateformes numériques et quelquefois la distribution de préimprimés. Mais nous savons bien que pour la télévision il y a des familles qui n’ont pas de télévision, il n’y a pas de lumière de manière continue. 

Il faut dire qu’en Afrique de l’Ouest et centrale, environ 48 % des élèves n’ont pas pu bénéficier de ces possibilités d’enseignement. Et donc, la pandémie a accentué les inégalités en matière d’accès à l’éducation et aux apprentissages. Et ce sont surtout les filles qui en ont souffert. Parce que, pendant la fermeture des écoles, beaucoup de filles ont été mariées. Il y en a qui ont été victimes de travaux forcés ou elles ont été violées même.

Et vous savez aussi qu’il y a les conflits qui posent aussi un problème très sérieux. Actuellement, dans le nord du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, des écoles sont fermées. Donc les conflits aussi constituent un frein à l’éducation de tous les enfants et des filles en particulier.

Vous avez déclaré ceci : “quand j’étais moi-même lycéenne, j’étais choquée du traitement réservé aux étudiantes enceinte qui étaient renvoyées par l’établissement.” Vous disiez à TV5 Monde que l’une de vos camarades, par exemple, a vécu cela en classe de seconde. Et cela vous a fait dire que quand vous seriez ministre, ça n’existerait plus. Qu’avez-vous fait en ce sens, en Guinée ?

Justement. L’une des raisons pour lesquelles je lutte contre l’exclusion des filles, c’est à cause de cette fille, cette femme. Ce sont les parents et l’éducation qui sont responsables de cet état de choses. Et donc il faut assumer cela.

Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai mené des campagnes. J’ai commencé par mon cabinet. Quand je leur ai expliqué les vraies raisons, j’ai dit: “nous n’avons pas fait notre devoir. On ne leur a donné aucune arme, c’est-à-dire aucune éducation sexuelle. Les parents ne leur en parlent pas”. Je dis donc que ce n’est pas bon. Mais j’ai mené quand même pendant deux ans cette campagne pour faire comprendre aux parents qu’il faut que les filles reprennent l’école. Mais il y a une autre chose aussi, les mariages précoces. Pourquoi je lutte contre les mariages précoces ? Parce que ça continue.

Est-ce qu’aujourd’hui c’est une fierté pour vous de voir que les filles enceintes ne sont plus renvoyées en Guinée ? 

Vous savez quand moi, j’ai réussi cela, j’en ai parlé à Fawe (Forum for african women educationalists, forum des éducatrices africaines). Voilà comment Fawe s’en est emparé.  Aujourd’hui, je peux vous dire que presque tous les pays africains ont accepté cette politique-là, d’intégrer cela dans leur politique éducative, la reprise des filles-mères a l’école.

On se rend compte, Madame la ministre, que même lorsque les filles ont accès à l’école, il y a encore des obstacles comme le manque d’accès des filles aux toilettes réservées pour elles. Notamment lorsqu’il y a la question des menstrues qui interviennent. Est-ce que c’est une dimension aussi que les dirigeants oublient de prendre en compte dans les écoles ?

Oui. Non seulement il faut qu’il y ait des toilettes séparées, mais il faut qu’il y ait une infirmerie où on puisse donner aux jeunes filles des serviettes hygiéniques. C’est pour ça qu’il faut qu’il y ait un centre d’écoute. Il faut qu’il y ait un point d’eau, il faut qu’il y ait des toilettes séparées. Sinon, les jeunes filles, ne vont pas y aller. Vous savez, les garçons sont très taquins, ils embêtent.

Comment améliorer la scolarisation des filles de façon générale en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale que vous connaissez mieux ? Ou peut-être même sur cette question, quels avantages il y a à scolariser une fille ?

Prenez mon exemple : si je n’avais pas été à l’école, je serais en train de traire les vaches au village. Ce sont les femmes qui constituent la clé du développement d’un pays.

Encourager tous les enfants à aller à l’école et ne jamais accepter que les filles soient au bord de la route. Elles ont les mêmes potentialités, les mêmes droits. C’est une question de droit fondamental. En tout cas, je me battrai toute ma vie pour ça.

DW