28 mars 2024

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Sidya Touré président de l'ufr

Guinée : Sidya Touré , « L’objectif des militaires est de nous écarter de la transition »

ENTRETIEN. À l’heure où se tiennent à Conakry, sous la houlette des militaires, des assises nationales, le chef de l’Union des forces guinéennes appelle à la vigilance.

En Guinée, le président de la transition, le colonel Mamady Doumbouya, au pouvoir depuis le 5 septembre dernier, a donné mardi 22 mars le coup d’envoi des assises nationales, soit une conférence de six semaines, qu’il a présentée comme une occasion « historique » de panser les plaies d’un pays marqué par des décennies d’histoire souvent brutale. Une démarche loin de faire l’unanimité. À Conakry, de nombreuses voix se sont élevées pour exprimer leur scepticisme devant ces assises, au contenu et aux objectifs vagues. Le contraste est frappant : après l’accueil initialement favorable fait aux putschistes, la grogne va grandissant au sein de la classe politique et de la société civile contre un exercice jugé autoritaire et solitaire du pouvoir. Le climat s’est tendu au point qu’un groupement de 58 partis politiques a publié une déclaration publique dans laquelle il interpelle directement les dirigeants actuels. Au titre des griefs, les partis politiques déplorent que « l’inclusivité et la justice, qui étaient au cœur de la profession de foi du CNRD à sa prise du pouvoir, ne semblent plus être la boussole de son action publique ». Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines (UFR), la troisième force politique du pays, n’en démord plus, la transition déraille et les autorités font tout leur possible pour retarder le retour à l’ordre constitutionnel. Au point de reprendre les manifestations ?

De passage à Paris, l’ancien Premier ministre (1996-1999) de Lansana Conté, qui ne cache plus son impatience, a répondu aux questions du Point Afrique sur les dossiers qui dominent l’actualité de son pays.

Le Point Afrique :Six mois après le coup d’État, où va la Guinée ?

Sidya Touré : C’est tout le sens du texte que nous avons cosigné avec au moins une cinquantaine d’autres partis politiques et adressé à la junte au pouvoir. Nous ne savons pas où va notre pays. Nous ne sommes associés à aucune démarche, et personne ne nous consulte sur rien. Nous n’avons pas de réponses à nos questions qui portent pour l’essentiel sur les éléments qui peuvent mettre fin à la transition et permettre un retour à l’ordre constitutionnel démocratique.

Plus grave encore, l’installation du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) qui doit comprendre au total trente membres est en suspens. À ce jour, seuls trois ou quatre noms sont connus, nous ne savons pas où en sont les candidatures. Qui sont les autres membres ? Nous n’avons été informés de rien, et même en ce qui concerne la charte de la transition. L’objectif des militaires est de nous écarter de la transition, en tout cas, c’est comme ça que c’est perçu.

Tout le pays est enlisé, car ces questions, les acteurs politiques ne sont pas les seuls à se les poser, les populations se les posent aussi, elles sont en train de déchanter complètement.

En tant que démocrate, ne vous sentez-vous pas coupable d’avoir applaudi un peu trop rapidement à l’arrivée des militaires au pouvoir ?

Non, absolument pas. La transition qui a commencé le 5 septembre dernier a soulevé un réel enthousiasme. Et des partis politiques et des populations. Après avoir subi quasiment onze années d’une dictature que je qualifierais de prédatrice, pour nous avoir ramenés vingt ans en arrière sur le plan économique et du développement, l’espoir de tourner la page des années Condé nous a tous guidés.

Nous étions fatigués de ce régime qui s’est illustré par sa médiocrité, sa malveillance, mais surtout l’incapacité d’Alpha Condé face aux défis de développement qui se pose au pays. Pendant tous ses mandats, il n’a pas construit une seule université, ni un hôpital, encore moins des logements sociaux. Je peux vous assurer que pas même 100 kilomètres de route n’ont été construits.

Quand les jeunes militaires prennent le pouvoir, nous applaudissons en pensant qu’enfin il va avoir du changement pour notre pays, mais six mois après je ne dis pas que nous déchantons, mais nous ne voyons pas plus claire et ça, c’est un vrai problème.

Que faut-il faire pour réussir la transition ?

Il faut de la concertation dans tout le processus. Créer un cadre de dialogue pour réunir toutes les forces vives de la nation, les partis politiques et la société civile puissent donner leurs points de vue. Donc, nous pensons que, sur cette base-là, avec le soutien d’un médiateur de la Cedeao et des partenaires du pays, nous pouvons parvenir à des élections crédibles. Nous avons déjà eu l’expérience de ce travail de dialogue sous Dadis Camara.

Il y a plusieurs sujets sur lesquels nous devons accélérer, il nous faut travailler sur l’organe qui gère les élections, car celle-ci reste incomplète, il faut travailler sur le fichier électoral, la commission électorale. L’objectif est de faire en sorte que ces élections donnent des résultats qui soient acceptables par tous.

Est-ce que la Guinée n’a pas d’autres problèmes plus urgents à régler que la préparation des élections ?

Évidemment que la Guinée a de nombreux problèmes plus urgents, mais cela m’étonne aussi lorsqu’on fait comme si le régime d’Alpha Condé était démocratique. Nous n’étions pas dans le contexte d’un régime démocratique issu d’élections crédibles. Les dernières élections étaient l’aboutissement d’un tripatouillage de la Constitution. Alpha Condé effectuait son troisième mandat quand il a été renversé. Son élection n’était donc pas le fruit d’élections démocratiques. Donc, il me semble tout à fait normal que la transition fasse des prochaines élections une priorité.

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Concrètement, la Guinée n’a pas connu d’élections régulières depuis 2010. Alpha Condé a été battu dans les urnes par moi-même au premier tour, puis par Cellou Dalein Diallo au second. Il est arrivé au pouvoir grâce à la pression de ses amis de l’internationale socialiste. Ce sont eux qui m’ont retiré mes voix et placé Alpha Condé en truquant les chiffres sur le nombre d’électeurs. Tout le monde savait que les élections étaient truquées, il a fallu attendre trois ans avant la tenue d’un semblant d’élections législatives.

En 2015, bis repetita, cette fois-ci Alpha Condé était au pouvoir, il a eu les coudées franches pour mettre le nombre d’électeurs qu’il voulait dans les zones qu’il voulait.

Plus dangereux encore, ce régime a décidé de placer la gestion du pays sous le signe de la gabegie financière. Par exemple, nous sommes passés d’une production de 20 millions de tonnes de bauxites à 82 millions, mais le Fonds monétaire international a calculé en 2020 que notre pays avait perdu 762 millions de dollars de recettes. Sur le secteur de la téléphonie, nous avons perdu près de 10 milliards de dollars mais nous savons que cet argent est entre les mains d’Alpha Condé et de son entourage.

Il ne faut pas oublier que c’est un pays postcommuniste, qui n’en est pas encore sorti. Ajouté à cela des années d’incurie du gouvernement dans tous les secteurs. La corruption est devenue endémique, nous avons de réels problèmes à régler.

Au moment où les militaires arrivent, nous avons pensé pouvoir repartir sur de nouvelles bases. C’était tout à fait possible. Nous le voyons au Burkina Faso, qui s’est organisé pour que tous les acteurs participent à la transition. En Guinée, nous ne sommes pas dans ce contexte ni dans ce cadre.

Les militaires semblent se méfier de vous, l’opposition, n’est-ce pas là l’un des symptômes qui a, ces dernières décennies, enfermé la Guinée dans le cycle de l’instabilité et de la pauvreté. Comment l’expliquez-vous ?

Les militaires se méfient de nous, car en tant qu’acteurs politiques nous pouvons mobiliser des électeurs. Ils ne devraient pas, parce que le débat est ailleurs. Actuellement, nos militants et plus largement les populations s’inquiètent du fait que les militaires soient plus préoccupés à nous sortir du jeu politique que de s’occuper de ceux qui ont détruit ce pays ces dernières années. Nous avons l’impression que les militaires se sont retournés contre l’opposition. Ils pensent qu’il faut faire partir les anciens, mais ce n’est pas le travail d’une transition. Il leur sera difficile de tenir une élection, aujourd’hui, en Guinée, sans les partis politiques.

Au point de mobiliser à nouveau vos militants dans la rue ?

Il ne s’agit pas seulement de nos militants. La population tout entière est heurtée en voyant les militaires s’afficher avec des personnes issues d’un régime qu’ils ont prétendument combattu. Il ne faudrait pas qu’il y ait un retour en arrière.

Comment garantir que ces nouvelles mobilisations ne seront pas réprimées dans la violence ? Avez-vous réfléchi à la manière dont l’État guinéen pouvait améliorer sa conception du maintien de l’ordre ? Il y a eu des dizaines de morts lors de dernières manifestations…

Nos manifestations étaient tout à fait pacifiques, la violence n’est pas inhérente à nos marches. Ce qu’il se passait, c’est que la journée nous manifestions normalement pacifiquement, puis le soir venu, les gendarmes revenaient pour provoquer les jeunes. Nous avons compris que nous avions affaire à un président socialo-communiste, qui a instauré ce climat de violence pour faire peur.

L’instauration de la cour de répression des infractions économiques, instaurée par les autorités, n’est-elle pas un signe encourageant d’une prise en main des questions de justice ?

Nous avons applaudi la création de la cour de répression des fraudes mais aujourd’hui nous voyons qu’elle ne bouge pas non plus. À mon sens, si les autorités veulent s’inspirer d’un modèle pour remettre de l’ordre, faire justice, faire progresser des enquêtes, il y a l’exemple du Burkina Faso. Ils sont en train de s’organiser pour trouver un consensus autour de tous ces sujets avec les responsables politiques, les sociétés civiles, les jeunes. Mais chez nous rien de tout cela. Au contraire, on voit bien dans quelle direction vont les enquêtes, ce sont les leaders politiques qui sont ciblés.

Vous citez beaucoup le Burkina Faso en exemple. Mais le pays a connu une transition saluée par tous en 2015 avant de connaître un nouveau coup d’État peu de temps après la Guinée…

Je suis d’accord, mais les causes sont différentes. Le Burkina Faso a connu un grave problème de gouvernance tout comme le Mali. Je pars du principe que si les électeurs élisent un dirigeant compétent et qui travaille, il n’y a pas de risque que ces problèmes ne soient pas résolus.

Concrètement, quelles sont aujourd’hui vos marges de manœuvre, y a-t-il une institution, un organisme, une personnalité d’autorité qui peut convaincre les uns et les autres de s’asseoir autour d’une même table et discuter ?

Je n’en vois pas. Mais nous, notre message est simple, nous disons, qu’il faudrait au moins instaurer un cadre de discussions avec les partis politiques, la société civile, les militaires, le CNRD quand il sera au complet. Une fois que nous aurons fait cela, nous verrons plus clair déjà sur le processus, sa durée, son cadre, ses organes. La transition ne sert qu’à une chose : aller aux élections, tout l’enjeu est de les préparer au mieux.

Propos recueillis par Viviane Forson