L’Assemblée Nationale est en place. Il s’ensuit de facto la fin du régime présidentiel instauré par le général de Gaulle. Cette situation est comparable à celle de la IIIe République après la crise du 16 mai 1877 qui a vu le président Mac-Mahon renoncer à ses prérogatives au profit de la Chambre des députés…
Le 19 janvier, j’écrivais : « Il n’est pas du tout certain que le président retrouvera une majorité parlementaire car il ne bénéficiera plus d’un quelconque état de grâce et les candidats de son parti seront jugés sur leur bilan et celui du précédent quinquennat. » Je concluais l’analyse par ces mots : « Après des présidentielles qui promettent d’être des plus ennuyeuses, un réveil de la démocratie n’est pas à exclure en juin avec des débats enflammés dans chacune des 577 circonscriptions. La comparaison entre Emmanuel Macron et son lointain prédécesseur Patrice de Mac-Mahon prendrait alors tout son sens si, d’aventure, le président devait composer avec une Assemblée moins conciliante que l’actuelle. »
Dans les faits, la situation qui se profile n’a rien à voir avec les précédentes cohabitations de la Ve République. Celles-ci se traduisaient par une opposition entre deux blocs bien structurés : gauche et droite, avec des chefs affirmés à leur tête : Mitterrand et Chirac, Chirac et Jospin.
Rien de tel aujourd’hui. Aucune coalition de gouvernement à l’allemande ou à l’italienne ne se profile. À gauche, la Nupes (142 sièges) agglomère des partis qui n’en finissent pas de s’écharper (socialistes, communistes, écologistes, nouvelle gauche racialiste) ; à droite, Les Républicains (64 sièges), trop peu nombreux pour gouverner, sont divisés sur l’attitude à adopter face au président. À l’extrême-droite, le Rassemblement national, avec ses 89 sièges, sera en position d’arbitre sur des projets de loi sensibles.
L’alliance centriste Ensemble ! (246 sièges) elle-même demeure loin de la majorité absolue (289 sièges). En son sein, le parti présidentiel LREM (170 sièges) devra compter avec ses alliés, le Modem de François Bayrou et Horizons d’Édouard Philippe. Pour ne rien arranger, ce parti est voué à disparaître à l’issue du quinquennat, quand son chef Emmanuel Macron se retirera de la compétition comme l’y oblige la Constitution. Cette perspective n’est pas de naturer à motiver ses députés…
Aucun chef de parti ne fait figure de leader. Jean-Luc Mélenchon, habile tacticien, a dédaigné de se faire élire à l’Assemblée et il risque d’être rattrapé par l’âge (70 ans). Quant à Marine Le Pen, chef du Rassemblement National, son trait le plus marquant n’est pas la rage de vaincre malgré le soutien indéfectible des classes populaires, déboussolées par la dégradation accélérée du pays. Emmanuel Macron, enfin, n’aura d’autre choix que de « se soumettre » comme avant lui le maréchal Patrice de Mac-Mahon et tous ses successeurs de la IIIe République.
Nous sommes entrés dans un régime parlementaire sans majorité. La France va devoir être gérée à la petite semaine, sans vision ni perspective (on n’ose imaginer ce qui serait advenu avec un scrutin à la proportionnelle). C’est la pire des configurations dans la crise à multiples facettes que connaissent la France et l’Europe.
Le 22 janvier 2015, Herodote.net s’était demandé si 2015 marquerait une nouvelle rupture historique comme l’Europe en connaît à chaque siècle (1914, 1815, 1713, 1618, 1519…). De fait, nous y sommes. Impuissante face aux vagues migratoires (août 2015), l’Union européenne est entrée depuis lors dans une succession de secousses : crise grecque, Brexit, Covid-19, etc. La guerre d’Ukraine est venue noircir un peu plus le tableau : la Russie, solidement arc-boutée sur ses positions, a entraîné l’Europe dans une guerre longue avec des conséquences qui menacent d’être désastreuses pour les classes populaires : pénuries, inflation, etc.
Face à tous ces défis, la France, faute de gouvernement stable, sera impuissante comme le fut la IVe République face à la guerre d’Algérie. Elle devra aussi se confronter à ses échecs intérieurs : effondrement des systèmes de santé et d’éducation, communautarismes, violences. Depuis plusieurs années déjà, la mortalité infantile amorce une remontée et les indicateurs de santé comme l’espérance de vie pourraient aussi se dégrader dans les prochains mois (ce serait sans précédent depuis deux siècles en période de paix). Les violences du 28 mai 2022, au Stade de France, laissent craindre le pire pour les Jeux Olympiques de 2024, qui se dérouleront au même endroit, aux portes de Paris.
Des JO en état de siège ? Ce serait le coup de grâce pour un régime et un pays à bout de souffle mais aussi pour l’Union européenne dont la France demeure l’un des piliers. La construction européenne est une idée généreuse dévoyée par les idéologues néolibéraux et mondialistes qui ont pris le pouvoir en 1992 (traité de Maastricht). Ainsi que je l’avançais il y a quelques années, l’UE pourrait s’effondrer sur elle-même à cette date, après 74 ans d’existence, comme avant elle, l’URSS, une autre construction idéologique hors sol et hors Histoire, également décédée à 74 ans.
Souhaitons que la perception de ces menaces nous amène à réagir et faisons en sorte qu’elles ne se concrétisent pas.
Par André Larané Historien
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