20 avril 2024

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Élection du Nigéria 2023

"Vous avez laissé les kidnappeurs m'emmener, maintenant vous voulez mon vote"

Élection du Nigéria 2023 : “Vous avez laissé les kidnappeurs m’emmener, maintenant vous voulez mon vote”

De nombreux Nigérians vivent dans la crainte constante d’être enlevés et rançonnés par des bandes armées, notamment dans le nord-ouest du pays, où des milliers de personnes ont dû fuir leur domicile. En raison de l’insécurité, de nombreux habitants de cette région, qui compte le plus grand nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales du pays, risquent de ne pas participer aux élections du 25 février.

Une route non goudronnée longue d’un kilomètre qui se termine par une souche d’arbre est le seul moyen pour les véhicules d’accéder au village de Bakiyawwa, dans l’État de Katsina, au nord du Nigéria.

Cette communauté, composée essentiellement d’agriculteurs de subsistance, n’est pas l’endroit où l’on s’attend à ce que les criminels à l’origine du lucratif commerce des enlèvements contre rançon au Nigéria cherchent des victimes.

C’est donc avec surprise que des hommes armés circulant à moto l’ont envahie en septembre dernier et ont enlevé 57 villageois.

“Ils ont retenu ma femme pendant 38 jours”, a raconté Abduljabara Mohammed, un fonctionnaire qui fait partie des personnes considérées comme aisées. Il a payé 1 million de nairas (1 288 611 FCFA) pour sa libération.

Zaradeen Musa n’a pas voulu dire combien il avait donné aux ravisseurs, mais a déclaré que c’était beaucoup d’argent.

“Je leur ai donné tout mon argent et une moto, puis je les ai suppliés de ne pas m’emmener”, a expliqué Zaradeen Musa, 30 ans, dont la porte a été défoncée vers 01h00 alors que les hommes armés, communément appelés bandits, opéraient sans entrave pendant quatre heures après avoir repoussé une unité de police appelée par les villageois.

Maria Sani, 45 ans, a été saisie mais a réussi à s’échapper alors que les bandits conduisaient les victimes dans leur cachette en forêt.

Elle s’est demandée ce qu’il serait advenu d’elle si elle ne s’était pas échappée car, comme beaucoup d’autres personnes enlevées ce jour-là, elle n’aurait jamais pu payer la rançon.

M. Suleiman se présente comme candidat du Parti travailliste à l’assemblée locale.

Toutes les personnes enlevées ont finalement été libérées, mais seulement après des mois de négociations au terme desquelles elles ont payé en espèces ou en objets de valeur tels que des motos. Ces enlèvements montrent à quel point le problème du kidnapping s’est étendu – même les plus pauvres ne sont pas épargnés.

Néanmoins, les habitants de Bakiyawwa peuvent s’estimer heureux car les attaques sont parfois mortelles, comme le meurtre de plus de 100 villageois par des hommes armés vendredi dernier dans une autre partie de Katsina.

Selon les analystes, ces groupes armés dans le nord-ouest et les sécessionnistes violents dans le sud-est constituent de réelles menaces pour les élections du 25 février.

Les attaques contre les bureaux de la Commission électorale nationale indépendante (Inec) ont entraîné le report des scrutins d’une semaine en 2019, et l’incendie récent d’un bureau de l’Inec dans le sud-est fait craindre un nouveau report, bien que les responsables aient affirmé qu’il n’y aurait aucun retard.

En décembre, l’Inec a annoncé qu’il était trop dangereux de tenir le scrutin dans certaines parties de l’État de Katsina, mais on ne sait pas ce qui se passera le jour de l’élection.

Le professeur de droit Chidi Odinkalu affirme que cette élection risque d’être entraînée dans un territoire juridique inconnu si l’insécurité entrave le vote et si un candidat estime avoir été privé d’un soutien vital.

Dans le passé, les gens ont évité de voter par crainte de la violence dans les États du sud comme Imo, Anambra, Lagos et Rivers, mais aujourd’hui, la crise des enlèvements dans le nord a désintéressé de nombreuses personnes des élections.

“Vous avez laissé les kidnappeurs m’enlever, maintenant vous voulez mon vote”, a indiqué Mme Sani par l’intermédiaire d’un interprète. Comme beaucoup ici, elle avait déjà voté pour le Président Muhammadu Buhari, mais elle n’a pas voté cette fois-ci.

Maria Sani ne s’intéresse pas aux prochaines élections après l’attaque de son village.

Le président Buhari se retire après deux mandats et Bola Tinubu se présente pour le parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC).

“Comment pouvez-vous voir toutes ces souffrances et voter quand même pour l’APC ?”, a affirmé Lawal Suleiman, un ancien membre du parti, qui fait désormais cavalier seul dans le village en faisant campagne pour Peter Obi, du Parti travailliste.

Beaucoup d’autres personnes à Bakiyawwa disent qu’elles soutiendraient probablement le principal parti d’opposition, le Parti démocratique des peuples (PDP), si elles votent.

“Si Buhari n’a pas pu résoudre les problèmes de ce pays, personne d’autre ne le pourra”, a confié à la BBC Nana Samaila, qui a fui son village de Batsari il y a trois ans après des attaques de groupes armés.

Sa fille, Aisha Mama, a également fui récemment avec son mari le village de Dangyya après que des attaques nocturnes persistantes aient obligé sa famille à dormir dans leur ferme pendant des semaines.

Mme Samaila avait bon espoir que le président Buhari, un ancien dirigeant militaire originaire de Katsina, résoudrait les innombrables problèmes du Nigeria lorsqu’elle a voté pour lui pour la première fois en 2003, mais comme beaucoup d’autres, elle est maintenant désillusionnée par les échecs de son gouvernement.

Des centaines d’écoliers ont été enlevés puis relâchés, et le gouverneur de l’État a un jour demandé aux habitants de s’armer contre les bandits en signe d’impuissance.

Une piste de terre mène au village de Bakiyawwa

Les principaux candidats à l’élection reconnaissent que l’insécurité, étroitement liée à la hausse des prix des denrées alimentaires qui a entraîné des niveaux d’inflation record, est le principal défi du Nigéria à l’heure actuelle.

Atiku Abubakar du PDP, M. Tinubu de l’APC et M. Obi du Parti travailliste proposent, entre autres, des réformes de la police, une réorganisation de l’armée et une amélioration de la protection sociale.

Leurs plans ne sont pas radicalement différents de ce que le président Buhari, qui a été élu sur la promesse de s’attaquer aux groupes islamistes dans le nord-est, a fait avec un succès limité.

S’il a largement réussi à contenir l’insurrection islamiste, la violence dans le nord-ouest et le sud-est a massivement augmenté sous son mandat.

“Il a dispersé [détruit] l’économie, il y a tellement d’insécurité”, a souligné Mohammed Yusuf, un agriculteur originaire de Katsina désormais contraint de vendre du thé et des nouilles cuites dans les rues de Kano, la plus grande ville de la région.

Mohammed Yusuf (G) dit qu’il votera PDP cette fois-ci.

Kano, Katsina et Kaduna, surnommés les trois K, sont considérés comme des États clés pour quiconque souhaite devenir président du Nigéria, en raison de leur importante population électorale. Il y a plus d’électeurs inscrits ici que dans les cinq États du sud-est.

Le bloc de voix de M. Buhari dans ce trio d’États l’a aidé à remporter deux élections consécutives, et si certains soutiendront encore l’APC, on a le sentiment que le parti a perdu du terrain dans une région meurtrie par l’insécurité.

Il y a deux semaines à peine, des pierres ont été lancées sur l’hélicoptère du président lors d’une visite à Kano.

Il y a également un cheval noir en la personne de Rabiu Kwankwaso du New Nigeria Peoples Party (NNPP). Seuls ses partisans inconditionnels s’attendent à ce qu’il remporte la présidence, mais il est apparu comme un perturbateur majeur qui pourrait décider de l’identité du prochain président.

Ancien gouverneur de l’État de Kano et ancien ministre de la Défense, M. Kwankwaso est immensément populaire à Kano et dans l’État voisin de Jigawa.

S’il obtient la majorité des voix à Kano, dont les six millions d’électeurs inscrits se classent en deuxième position après Lagos, cela affectera grandement les autres candidats, notamment ceux de l’APC et du PDP.

Cela pourrait jouer en faveur du Parti travailliste, qui ne dispose pas d’une base de soutien solide dans la région.

M. Kwankwaso, comme de nombreux autres hommes politiques nigérians, a changé de parti à plusieurs reprises. La dernière fois, il a soutenu le PDP et il y a des rumeurs selon lesquelles il se retirera un jour ou l’autre pour son candidat et compatriote du nord, M. Abubakar.

“Lui et Obi ne gagneront pas, bien qu’ils soient de meilleures alternatives à M. Abubakar qui est un capitaliste de copinage”, a indiqué Umar Yahaya, un étudiant universitaire conduisant un taxi dans la ville voisine de Kaduna.

“Mais quiconque vote pour l’APC le récompense pour son échec”, a-t-il ajouté, alors que nous nous dirigions vers la gare de Rigasa, récemment rouverte, pour monter dans le train Kaduna-Abuja. La ligne avait été fermée pendant des mois après une attaque meurtrière de militants qui a vu le meurtre et l’enlèvement de dizaines de passagers.

Lorsque M. Buhari a inauguré la ligne en 2016, elle était considérée comme un signe de progrès dans le nord, mais elle est maintenant devenue un symbole de la violence qui consume la région.

Par Nduka Orjinmo BBC News, Bakiyawwa, État de Katsina