18 avril 2024

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James Patterson à Washington

James Patterson à Washington Katya Chilingiri Balaban

Cette famille d’Afro-Américains ayant trouvé refuge en URSS, avant de prendre à nouveau la fuite

Lloyd Patterson a quitté les États-Unis dans les années 1930 à la recherche d’une vie meilleure. Cependant, soixante ans plus tard, son fils a quitté la Russie, également pour une vie meilleure… Voici leur incroyable histoire.

« Ce pays faisait des merveilles. Lloyd s’était trouvé ici », écrit Margaret Glascoe à propos de son fils, Lloyd Patterson, qui a fui les États-Unis pour l’Union soviétique dans les années 1930. Bien que la Russie était en pleine grande purge de Staline, elle s’avérait être un endroit plus sûr pour lui. Au moins, il n’y avait ici pas de lynchage par le Ku Klux Klan.

Un Afro-Américain quittant les États-Unis

Lloyd Patterson était le petit-fils d’un esclave. Il a étudié la scénographie dans un collège théâtral pour Afro-Américains en Virginie, mais celui-ci a dû fermer après une grève des étudiants et un scandale avec un professeur, qui avait été remarqué dans les rangs du Ku Klux Klan.

Par hasard, Lloyd a un jour vu une publicité annonçant que la Russie soviétique recherchait un groupe de jeunes noirs pour une production cinématographique. En 1932, en quête d’égalité raciale, d’opportunités d’emploi et tout simplement d’une vie meilleure, Lloyd a donc gagné l’URSS avec plusieurs autres Afro-Américains.

Lloyd Patterson (troisième rang, deuxième à partir de la droite) et ses collègues se rendant à Moscou

Patterson a commencé à travailler comme artiste pour le film soviétique intitulé Noirs et Blancs, qui était censé dénoncer le racisme américain. Le projet a finalement été annulé, mais Lloyd est resté en Union soviétique, a appris le russe et a épousé une styliste locale nommée Vera Aralova. Ainsi, d’une manière étrange, le problème du racisme l’a finalement aidé à organiser sa vie.

Lloyd et Vera ont eu trois enfants et il a continué à travailler comme artiste et décorateur d’intérieur. Ensuite, Lloyd s’est retrouvé animateur radio, l’un des pionniers de la radiodiffusion soviétique anglophone. Par la suite, sa carrière radiophonique a rapidement progressé.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, Vera et les enfants ont été évacués en Sibérie, tandis que Lloyd est resté à Moscou. Lors d’un bombardement, il a été blessé et évacué dans l’Oural, puis en Extrême-Orient. Cependant, en 1942, exactement dix ans après son départ pour l’URSS, il est décédé, suite à des complications dues à ses blessures.

« Mon père a abandonné sa patrie

où il avait enduré

l’insulte amère de tant de choses niées.

Mon père, le gauchiste

a combattu la Grande Guerre Patriotique

Pour la patrie soviétique

mon père est mort. »

Il s’agit d’un fragment du poème écrit par James Patterson, l’un des fils de Lloyd. Pour être précis, son nom était James Lloydovitch Patterson, ce qui signifie James – fils de Lloyd – Patterson. En russe, un nom complet comprend en effet un patronyme, formé à partir du prénom du père de l’individu.

ames, un rare « exemple » d’enfant issu d’un couple mixte russo-africain, est né en 1933. Alors qu’il n’avait que trois ans, il a joué dans le film soviétique intitulé Le Cirque (1936), devenant ainsi l’enfant acteur noir le plus célèbre de l’histoire de la Russie.

Le film vantait les vertus de la tolérance raciale soviétique. Selon l’intrigue, après avoir donné naissance à un bébé noir, une artiste de cirque américaine souffre de racisme. En tant que professionnelle invitée, elle se rend dans le Moscou soviétique où elle trouve non seulement un refuge, mais aussi le bonheur et l’amour. La scène montre comment son jeune fils est chaleureusement accueilli dans le pays.

Une scène du film Le Cirque montrant James et sa mère fictive, l’actrice Lioubov Orlova
P. Minev/Sputnik

Bien que le film soit devenu incroyablement populaire en URSS, apportant la célébrité à James, il n’a pas poursuivi sa carrière d’acteur. Il rêvait en effet de la mer, et est donc sorti diplômé de la prestigieuse académie militaire Nakhimov. Il est par la suite devenu officier de sous-marin et écrivait des poèmes durant son temps libre.

Après avoir publié son premier recueil de poèmes intitulé Russie. Afrique en 1963, James a décidé d’abandonner le service militaire et s’est inscrit à l’Institut littéraire Gorki. Il est ainsi devenu un poète, un membre de l’Union soviétique des écrivains et un collaborateur régulier des magazines littéraires. Il a voyagé dans toute la Russie pour interpréter ses poèmes – et a même installé la plaque honorifique commémorant son père dans la ville extrême-orientale de Komsomolsk-sur-l’Amour.

Un livre reliant l’histoire des États-Unis et de l’URSS

En 1964, James Patterson a décidé de publier Chronique de la main gauche, les mémoires de sa grand-mère, Margaret Glascoe, dont nous avons cité un extrait précédemment.

Margaret Glascoe était la fille d’un Afro-Américain nommé Patrick Hager, fils bâtard d’un propriétaire terrien de plantation et également victime de l’esclavage. Lorsqu’il était bébé, il avait miraculeusement survécu après que l’épouse du propriétaire l’avait jeté dans le feu (bien qu’il ait été gravement blessé à la main droite). Face à l’injustice de sa position sociale et à l’oppression économique, il ne s’était pas accommodé de la vie d’esclave et s’était battu pour ses droits. Finalement, il avait réussi à acheter sa propre terre.

Margaret a également été confrontée à la ségrégation raciale, et elle a travaillé dur pour donner à son fils l’éducation qu’elle n’avait pas pu recevoir. Peu après, son fils Lloyd est parti en URSS, et Margaret l’a rejoint. Là-bas, elle a travaillé pendant plusieurs années dans une usine de pièces automobiles.

Complétant les mémoires de sa grand-mère par ses propres commentaires, James Patterson a ensuite publié ce livre en russe.

Bien plus tard, durant l’époque contemporaine, pendant la pandémie de Covid-19, Amy Ballard, retraitée de la Smithsonian Institution en Virginie, a trouvé un article dans la Los Angeles Review of Books intitulé : L’unique main gauche : conversation avec James Lloydovitch Patterson à propos du Cirque de Grigori Aleksandrov. Elle s’est alors souvenue qu’elle avait assisté, il y a quelques années, à une conférence sur les Afro-Américains partis vivre en Union soviétique, au cours de laquelle ce nom avait également été mentionné.

Elle a ainsi découvert que James avait déménagé aux États-Unis dans les années 1990 avec sa mère. Après l’effondrement de l’URSS, ils étaient à la recherche d’une stabilité financière en tant que poète et styliste, respectivement. Elle a également appris que Vera Aralova était décédée en 2001, déjà sur le sol américain. 

Amy Ballard a réussi à interviewer Patterson, qui vit désormais en Virginie. « Il a parlé de sa mère et de son père, qui lui manquent encore beaucoup, des années après leur décès. Il nous a également dit que la nourriture russe et le bon chocolat, dont il se gavait quand il était petit, lui manquent », relate Amy.

Ensemble, ils ont examiné des piles de documents, de photos de famille et de poèmes datant de son séjour à Washington. « J’ai réfléchi au fait que, même si M. Patterson a eu le privilège d’être une star de cinéma, cette expérience est née de luttes générationnelles qui se sont déroulées sur les côtes américaines », explique Ballard.

Finalement, Amy Ballard est devenue coordinatrice et maître d’œuvre de la toute première traduction anglaise du livre de la grand-mère de Patterson. Avec son équipe de passionnés, ils ont organisé la traduction des mémoires originales, ainsi que des lettres manuscrites de Lloyd Patterson à sa famille. Ils y ont en outre ajouté un récit photographique de la vie de James Patterson.

rbth