19 avril 2024

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Ballake Sissoko et Sona Jobarteh

Ballaké Sissoko à Kora ouverte

MUSIQUE. C’est un album de rencontres que propose le maestro malien de la kora. Dans Djourou, il a  invité Salif Keita, Oxmo Puccino et Sona Jobarteh, entre autres.

Tel le fil d’Ariane de son parcours, de sa vie, les cordes de sa kora figurent ce lien à ses ancêtres, à sa lignée de griots, à son père, le grand korafola Djelimady Sissoko. Les cordes symbolisent aussi ce qui le relie aux autres, d’où le titre de son nouvel album Djourou (« corde » en bambara). Ballaké Sissoko y a invité des artistes de divers horizons pour instaurer un vrai dialogue musical. « Je tends ma corde vers les autres. C’est un moyen de nous rapprocher. La kora me donne l’envie d’aller vers eux, et de les faire venir à moi », confie-t-il, lors de notre rencontre dans les bureaux parisiens de son label No Format !. 

On dit que la kora a 21 cordes : 7 pour le passé, 7 pour le présent, 7 pour le futur. Cette légende illustre avec justesse l’approche artistique pionnière de Ballaké, sa signature depuis plus de 40 ans. Puisant dans le répertoire ancestral, il met au jour des pièces ou des modes d’accordage tombés dans l’oubli, tout en dépassant le cadre traditionnel, composant ses propres morceaux, frottant ses cordes aux harmonies et rythmes du monde entier. La rencontre des cultures est son terrain de jeu. En témoignent ses multiples projets, notamment avec le bluesman américain Taj Mahal, le joueur grec de lyra Ross Daly, le pianiste italien Ludovico Einaudi, les Iraniens du Trio Chemirani, l’oudiste marocain Driss El Maloumi et le joueur malgache de valiha Rajery, avec lesquels il forme le trio 3MA et publie deux disques… Il démontre ainsi l’agilité infinie et la quintessence universelle de sa musique élaborée, délicate. « Avec Toumani Diabaté, Mamadou Diabaté, et quelques autres, nous sommes la relève de la génération de nos pères. L’idée est d’avancer avec une autre mentalité, d’effectuer un vrai partage, de ne pas s’arrêter aux frontières du Mali. Je respecte beaucoup les mélodies mandingues, mais il faut être ouvert sur le monde ».

la koraïste anglo-gambienne Sona Jobarteh

Des featurings de haute volée

Pour cet album constitué en majorité de featurings, on trouve notamment son compatriote Salif Keita sur le titre Guelen, le violoncelliste Vincent Ségal, son fidèle complice, avec qui Ballaké a signé deux albums, Chamber Music et Musique de Nuit. Ils revisitent ici La Symphonie Fantastique de Berlioz avec le clarinettiste Patrick Messina. Le maître de la kora convie sa nièce, la koraïste anglo-gambienne Sona Jobarteh, offrant avec Djourou un délicat et poignant tête-à-tête familial, où plane l’héritage de leurs ancêtres communs. « Je suis très fier de Sona, elle est une grande joueuse. Nous sommes en harmonie », se réjouit Ballaké. « Dans le passé, la tradition interdisait aux femmes de jouer de la kora, et de la toucher quand elles avaient leurs règles. Heureusement, le monde a beaucoup changé », poursuit-il.

Au fil de ses arpèges vibre également la voix de la chanteuse Camille sur Kora, hommage rêveur à la harpe-luth, celle d’Arnaud Teboul du groupe de rock Feu ! Chatterton pour l’expérimental et poétique Un vêtement pour la lune, celle de l’Anglais Piers Faccini sur le superbe Kadidja… Ou encore le phrasé du rappeur franco-malien Oxmo Puccino, avec le morceau Frotter les mains qui perpétue, selon Ballaké, sa pratique culturelle de djéli. « J’accompagne le slam d’Oxmo, tout comme dans notre tradition, on accompagnait les déclamations des griots orateurs », précise le virtuose malien, considéré par Oxmo Puccino comme un oncle, « une part d’histoire de la musique malienne », « un silence puissant », « une musique sacrée ».

Par Astrid Krivian lepoint