20 avril 2024

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Assassinat de Sylvanus Olympio ancien président du Togo

SYLVANUS OLYMPIO (1902-1963)

Assassinat de Sylvanus Olympio, ancien président du Togo

Dans l’histoire de l’Afrique, c’est le premier assassinat d’un président après la vague des indépendances. Il y a soixante ans jour pour jour, le chef de l’État togolais Sylvanus Olympio était abattu, au petit matin à Lomé, par un commando militaire. Soixante ans après, il reste de nombreuses zones d’ombre, notamment sur les vrais commanditaires de ce crime d’État. Mais il existe des archives secret-défense qui peuvent encore parler.

Adovi Michel Goeh Akué est professeur émérite des universités publiques du Togo.

RFI : C’est le 12 janvier 1963 au soir à 23h que les militaires putschistes font irruption dans la résidence du président Olympio. Mais ce n’est que le lendemain matin à 7h qu’ils le trouvent et qu’ils l’assassinent. Qu’est-ce qui s’est passé entre 23h et 7h du matin ?

Adovi Michel Goeh Akué : Beaucoup de choses. Il y a un commando qui est parti vers les 23h, et le président donc aurait sauté le mur, et est rentré dans l’ambassade des États-Unis qui est juste mitoyenne à sa maison, et il s’est caché dans une Buick garé, et c’est de là qu’on l’aurait sorti. Et le matin, il a été criblé de balles sur la voie publique.

Il s’est donc réfugié dans une voiture Buick qui était garée dans l’enceinte de l’ambassade des États-Unis à Lomé. Mais cette nuit-là, qui savait que le président togolais se cachait dans ce véhicule ? Et qui a pu en informer les militaires putschistes ?

Alors, l’ambassadeur des États-Unis a été saisi par son gardien, il aurait téléphoné à l’ambassadeur de France. Et, selon les témoignages, ce dernier a téléphoné aux putschistes et c’est eux qui sont arrivés le petit matin, pour le sortir et pour le canarder.

Donc, c’est d’abord l’ambassadeur des États-Unis qui est mis au courant et qui en informe son homologue français, qui à son tour en informe les militaires putschistes ? C’est cela votre scénario ?

Oui.

Les militaires putschistes étaient commandés par l’adjudant-chef Emmanuel Bodjollé et le sergent Etienne Eyadema, futur chef de l’Etat sous le nom de Gnassingbé Eyadema. À l’époque, le sergent Eyadema s’est vanté devant plusieurs reporteurs d’avoir tué lui-même le président. Mais en 1992, il s’est rétracté sur RFI. Qu’en est-il exactement ?

En fait, il était en retard quand le commando est parti pour la première fois, donc c’est quand il est revenu qu’il a pris un véhicule qui aurait été donné par le commandant de la gendarmerie qui était [l’officier français] Georges Maîtrier, et il arrive sur le terrain, et c’est là où le forfait a été commis. Donc il a dit lui-même : il l’a vu, il l’a sorti, il a dit « bon allez, avance ». Celui-ci a refusé, donc il a tiré dans le dos et il a abattu le chef de l’Etat. C’est la version qu’il a donnée.

Même s’il s’est rétracté 29 ans plus tard ?

Bien sûr, et la question qui se pose : qui lui a donné les armes ? Puisque lui-même était en arrestation, donc il était hors de Lomé, et il est revenu tard pour chercher le commando qui devait passer à l’acte, il ne les a pas trouvés. Donc il est clair qu’il y a une main étrangère, la main du commandant de la gendarmerie Georges Maîtrier. J’ai cherché ses traces, mais je n’ai pas pu le retrouver.

Alors, vous parlez de cet officier français, le commandant Georges Maîtrier, qui était à l’époque le chef de la gendarmerie togolaise, et l’agent de Jacques Foccart à Lomé, après avoir exercé au Cameroun. À la fin de sa vie, Jacques Foccart, le monsieur Afrique du Général de Gaulle, a confié à Jeune Afrique qu’il n’avait jamais eu des relations cordiales avec le président Olympio. Pourquoi cette mauvaise entente ?

Alors Olympio, c’était un des chefs d’Etat qui avait fait de bonnes études, il était plus clairvoyant que d’autres et il était d’ailleurs à ce moment en train de rédiger la charte qui devait conduire à l’Organisation de l’unité africaine. Donc, il a fait partie de ceux qui disaient qu’il fallait arrêter le néo-colonialisme. Et son grand projet, c’était de créer une banque centrale togolaise et de sortir de la zone franc. Et selon les archives que j’ai consultées à Paris, au ministère des Finances, le 14 janvier 1963, le ministre de l’Economie et des Finances du Togo, Hospice Coco, devait se rendre à Paris pour contresigner les nouveaux accords, et il n’a pas pu faire ce voyage, et le Togo est resté dans la zone franc.

Avant l’assassinat de Sylvanus Olympio, le Togo voulait sortir du FCFA, après l’assassinat il n’en est plus sorti ?

Il n’en est plus sorti puisque, immédiatement après l’assassinat, on fait revenir le responsable du parti qui est pro-français, c’est-à-dire Nicolas Grunitzky, et c’est dès lors que le Togo revient dans le giron français et c’est la marche qui continue jusqu’à ce jour. Rien n’a changé et c’est pourquoi jusque-là tous les appels que nous avons faits pour éclaircir cette question d’assassinat n’ont jamais été pris en compte, et cette question demeure encore actuelle.

Il reste donc, 60 ans après, beaucoup de zones d’ombre. Est-ce qu’un jour, on pourra faire toute la lumière ou pas ?

Je pense que ça peut se faire, mais il faudrait que le régime change au Togo, et que la France montre une certaine disposition à ouvrir les archives qui sont encore cachées. Et par rapport à mes enquêtes, j’ai vu le commissaire qui a fait le rapport d’autopsie. Et ce rapport, on ne l’a jamais vu dans les archives togolaises. Donc il y a lieu de voir les archives de la police togolaise, il y a lieu de voir également les archives françaises, notamment toutes ces archives militaires, il faut que tout cela soit ouvert, parce que le temps est passé, les lois [concernant la confidentialité] des archives, c’est 30 ou 50 ans, nous sommes à 60 ans. Il est temps qu’on fasse le deuil réellement, et que le Togo reparte sur de nouvelles bases. Mais tant que le pouvoir qui s’est installé après 1963 reste, il est difficile qu’on ait plus de transparence et plus de justice.

Par : Christophe Boisbouvier