19 avril 2024

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Alfredo Linares,

Alfredo Linares – Yo traigo boogaloo (1969)

Retour sur une des pièces maitresses du péruvien Alfredo Linares, réédité fin 2020, Un LP teinté de boogaloo, latin jazz et rythmes afro-cubains, sorti initialement en 1969  .

Alfredo Linares, ou Alfredito “Sabor” Linares, pour les amateurs de petits surnoms affectifs et épicés, est un véritable artificier de la salsa. S’il grandit loin du royaume portoricain, des rues de Spanish Harlem, ou des « barrios caleños » (quartiers de Cali, capitale colombienne de la salsa), Alfredito n’en deviendra pas moins une figure continentale de ce phénomène musical qui explose dans les années 70.

C’est à Lima que le petit Linares grandit. Avec un père accordeur de piano, le futur « rey de la teclas » (roi du clavier), bénéficie d’un environnement plutôt fertile pour bâtir son génie. Avant tout mélomane, il économise son argent de poche pour acheter des disques, dont un LP de Joe Cuba et un autre de Sony Rollins qui le marqueront à jamais. De temps à autre, son père organise un bœuf à la maison, et dès qu’il y a une petite place, Alfredito se joint aux instrumentistes. A peine âgé de 13 ans, il enregistre son premier disque, accompagnant au piano le chanteur Koky Palacios et peaufine sa technique au conservatoire national. Touchant à tout, de la trompette à la contrebasse, en passant par le saxo, la flûte, les congas ou encore les timbales, il est sous influence du jazz états-unien et des rythmes afro-cubains, futurs ingrédients de la recette salsa. Et s’il écoute assidument Art Tatum ou Oscar Peterson, c’est en s’imprègnant du son cubano de la Sonora Matancera et du jeu de leur pianiste phare, Lino Frias, qu’Alfredo Linares construit son style.

En 1968, à seulement 24 ans mais armé de sa précoce maturité musicale, Linares sort son premier album : El Pito. Alors que le boogaloo fait swinguer le tout New-York mais que le message en spanglish ne passe pas forcément auprès des mélomanes et danseurs de Lima ou Caracas, Alfredo Linares revisite la recette et popularise le genre sous les latitudes tropicales.

Le succès est total, et conduit le label MAG à réitérer l’expérience. Dès l’année suivante, Yo traigo boogaloo est dans les bacs. La recette est identique, Alfredo « apporte le boogaloo » (traduction littérale du titre de l’album), le transpose, et la mayonnaise continue de prendre. Avec ses paroles en espagnol, et des accents jazz plus marqués que chez les gringos, on en vient à se demander si la copie ne surpasse pas l’original.

Entre boogaloo, latin jazz, guaracha et guaguanco, l’album est un véritable laboratoire rythmique dont l’évolution toute naturelle semble être la salsa, qui s’apprête à l’époque à sortir de l’éprouvette new-yorkaise.

Mais en attendant, à Lima, d’excellents musiciens cultive le swing latino de la décennie qui s’achève. Et si celui qui se dégage de Yo traigo boogaloo est particulièrement contagieux, ce n’est en rien le fruit du hasard. Un rapide coup d’œil aux liners notes permet de voir que les grands péruviens de l’époque étaient dans le coup : Tito Chicoma, Nilo Espinoza, Mario Allison, Coco Lagos, Otto de Rojas ont entre autres participé au disque. Relativement peu connus à l’international, on vous conseille néanmoins de jeter une oreille à leurs disques si vous souhaitez découvrir ce qui se faisait de mieux sur la scène péruvienne de l’époque (ou à cette série de compilations qui en fait un florilège).

Ce joli petit monde s’en donne à cœur joie, taquinant parfois les sommets improvisés de la descarga (jam session saveur latine). On imagine aisément un studio en ébullition, où l’on compose sur place et enregistre live, ce qui fut apparemment le cas selon les rumeurs sur les coulisses de l’album. Une spontanéité qui n’ampute rien à cette envolée musicale, dont la qualité reste maîtrisée grâce à la direction et aux arrangements sans faille du jeune maestro Linares.

Ce joli petit monde s’en donne à cœur joie, taquinant parfois les sommets improvisés de la descarga (jam session saveur latine). On imagine aisément un studio en ébullition, où l’on compose sur place et enregistre live, ce qui fut apparemment le cas selon les rumeurs sur les coulisses de l’album. Une spontanéité qui n’ampute rien à cette envolée musicale, dont la qualité reste maîtrisée grâce à la direction et aux arrangements sans faille du jeune maestro Linares.

Pour le « rey de las teclas » c’est le début du succès international. De fait, l’album est distribué en Colombie et au Vénézuela. Deux pays où il passera du temps, bâtissant rapidement une renommée qui l’amènera à truster les studios des grands labels nationaux, en tant que producteur, arrangeur et bien sûr claviériste. L’album suivant, qui annonce la fin de l’ère boogaloo et le début de la salsa, le consacre. Comme un symbole, le premier morceau, intitulé La salsa va a comenzar, s’amorce sur le cri « ¡Traemos salsa! » (« on apporte la salsa »), clin d’œil non dissimulé au « Yo traigo boogaloo » de l’opus précédent.

Et si la salsa est avant tout une nouvelle étiquette commerciale apposée sur des rythmes préexistants, Alfredo Linares ne se fait pas prier pour en devenir un des ambassadeurs en terres sud-américaines, travaillant d’arrache pied sur de nombreux projets et collaborant avec les porte-étendards des pays frères (Julián y su Combo, Los Afroins, Piper Pimienta, Grupo Mango, La Salsa Mayor, et bien d’autres).  Le salsero brille tellement hors de ses frontières qu’on en oublie sa terre mère du Pérou, souvent cantonnée au folklore des sommets andins ou à la cumbia psychédélique des plaines amazoniennes. Et Linares de raconter en interview, ces nuits arrosées dans les boîtes de Cali ou Caracas ou il devait sortir ses papiers pour attester qu’il était ni porto-ricain, ni cubain, ni immigré new-yorkais, mais bien péruvien. Peru got salsa ! Peru got Alfredo !