19 avril 2024

leun2trois.com

Comprendre pour informer pour rendre compte de ce qui se passe dans le monde

Alpha Oumar Kanaté

Afrique(s) : Les grands entretiens partie 2/3

Collection produite par l’Ina et Temps Noir.

Trop longtemps l’Afrique n’a eu ni visage, ni parole, ni mémoire. Sa seule histoire était celle qu’écrivaient à sa place ceux qui l’avaient fait souffrir et qui l’avaient pillée : des récits de peuples sauvages qu’il fallait éduquer, de dictatures écrasées de soleil, de catastrophes humanitaires. Comme si l’Afrique n’était pas encore assez adulte pour parler de sa propre voix. Comme si elle ne pouvait pas se dire, se raconter et nous révéler elle-même sa profonde identité.

Un proverbe africain dit : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. » Les entretiens de la collection Afrique(s) racontent pour la première fois l’histoire du continent africain « du point de vue des lions ». En donnant la parole aux grands acteurs qui, de près ou de loin, ont pris part à son réveil, cette collection donne à tous l’occasion de découvrir une autre face de notre histoire commune, une autre histoire du 20ème siècle…

Modibo Keita

Alpha Oumar Konaré

Modibo Keïta vous l’avez dit incontestablement c’est le père de l’indépendance du Mali.Incontestablement c’est peut-être un des plus grands animateurs de l’union soudanaise RDA à l’époque.Modibo Keïta a été un de ceux qui se sont le plus battu pour que le Mali soit indépendant.Et Modibo Keïta a été un grand panafricaniste.Voyez-vous, le RDA c’était le Rassemblement Démocratique Africain déjà en 1946.Modibo Keïta s’est battu bec et ongles pour que l’AOF n’éclate pas, pour que l’AOF ne soit pas balkanisée.Et quand il ne pouvait plus arrêter ce processus de balkanisation, il s’est lancé avec ses compagnons et d’autres dans la création de la Fédération du Mali.Il a tout fait pour que la Fédération du Mali survive.Hélas quand il y a eu la rupture avec le Sénégal, il n’a pas pour autant baissé les bras parce que avec le Ghana de Nkrumah, et la Guinée de Sékou Touré, ils ont essayé de créer le noyau de l’Union des Etats Africains.Et il a été un des grands animateurs du groupe de Casablanca.Modibo Keïta, dès 1946 s’est lancé dans ce grand mouvement d’émancipation qu’était le Rassemblement Démocratique Africain.Le Rassemblement Démocratique Africain au début était très proche du Parti Communiste, même si les partis qui se sont fédérés pour le constituer, beaucoup de ces partis étaient plus d’audience sociale démocrate que communiste.Mais le fait est là qu’au lendemain de la guerre, la guerre froide, le prestige de l’Union Soviétique était tel que cela a fortement marqué nos élites politiques.Il faut le dire aussi : dans les colonies, les Européens qui se battaient pour défendre les intérêts des Africains venaient de milieux communistes.Ils se sont beaucoup préoccupés de l’encadrement et de la formation des élites politiques africaines, et des élites syndicales africaines.Modibo Keïta est passé par ce canal.Et quand la Fédération du Mali a éclaté le 22 septembre 1960, au cours du Congrès extraordinaire de l’Union Soudanaise, le choix a été fait clairement de conduire le Mali sur le chemin du socialisme.Et ce choix du socialisme sera davantage précisé en 1962 à la suite d’un Congrès extraordinaire qui a indiqué très clairement que le Mali allait s’engager sur la voie du socialisme scientifique, du marxisme.Mais je dois vous dire que c’était un choix très généreux, qui était beaucoup dicté par l’environnement, le poids des pays de l’est, la force et l’exemplarité d’un certain nombre de jeunes cadres, de cadres politiques, soudanais à l’époque, maliens à l’époque, qui étaient très désintéressés, très volontaristes et se battaient pour la justice sociale et la solidarité.Ces jeunes dont certains étaient en Guinée et qui sont venus au Soudan après l’éclatement de la Fédération du Mali, ces jeunes ont été un point d’appui très fort pour le président Modibo Keïta, et tout ce que je viens d’indiquer a beaucoup conditionné l’engagement de Modibo Keïta dans le socialisme scientifique.Sinon, naturellement, même si Modibo a côtoyé les communistes, même si en 1950, au moment du désapparentement du RDA avec le Parti Communiste, Modibo était plus de la tendance de ceux qui ne voulaient pas le désapparentement.Modibo, de par sa formation, était beaucoup plus social démocrate que marxiste.Modibo Keïta était un très grand croyant, je dois vous le dire.D’ailleurs le choix du socialisme scientifique par Modibo Keïta en 1962 n’a pas été sans conséquence pour la vie de l’Union soudanaise de RDA, parce que en réalité c’est un choix qui a été dicté, je ne dirais pas par l’émotion mais c’est un choix qui a été dicté par une avant-garde.Et par un Modibo Keïta très probe, très honnête, et qui croyait aux grandes valeurs de justice, de solidarité, et d’humanisme pour son pays, mais ce n’était pas le choix du Parti Union Soudanaise quand on regarde sa composition sociologique.L’Union Soudanaise c’était la petite bourgeoisie nationale, c’était le monde rural, au Mali.C’était plus la tendance sociale démocrate et d’ailleurs quand l’Union Soudanaise a opté pour le socialisme scientifique, la plupart des cadres intermédiaires n’ont pas suivi.Et les grandes notabilités qui faisaient la force de l’Union Soudanaise dans le pays n’ont pas suivi.Et à partir du congrès de 1962, croyez-moi, Modibo Keïta n’a plus pu réunir un congrès de l’Union Soudanaise jusqu’en 1968.Parce quil y avait le risque pour lui d’être désavoué par la base.C’est pour cette raison qu’en 1967 la révolution active a été engagée, donc une tentative de renouveler l’équipe dirigeante du parti par le sommet.Et à la fin du processus, mettre en place un bureau politique.Malheureusement, avec la crise économique, les difficultés internes du parti s’aggravaient, le coup d’Etat militaire est intervenu dans un parti en crise il faut le dire.

Fily Dabo Sissoko

ALPHA OUMAR KONARÉ

Fily Dabo Sissoko est un grand soudanais, un grand malien.Je pense que c’est certainement un des hommes de culture du Mali parmi les plus valeureux.Je suis certain que si la question était posée à Amadou Hampâté Bâ, il aurait certainement dit que Fily Dabo était son maître, parce que Fily Dabo a été trempé dans toutes les cultures traditionnelles.Il côtoyé les Francs-maçons, il a côtoyé les rosicruciens, il a tout fait aussi pour connaître les cultures chrétiennes, il a beaucoup voyagé, mais Fily Dabo c’est l’homme de son terroir.Et je crois qu’il est resté tout au long de sa carrière le chef de canton, parce qu’il était chef de canton, chef traditionnel.Avec les qualités et défauts du chef de canton.J’avoue que je suis beaucoup plus critique, très critique sur l’homme politique.Pour moi, Fily Dabo aurait dû rester l’homme de culture.Mais les circonstances historiques de ce moment-là ont fait que les hommes qui avaient une certaine renommée, qui avaient un certain prestige, et qui représentaient les populations, pouvaient difficilement se tenir à l’écart.Il est mort de façon tragique en 1964 parce que à la suite de la création du franc malien en 1962 et des manifestations qui ont suivi, il a été arrêté avec ses compagnons, dont Hamadoun Dicko, condamné à mort, déporté à Kidal, dans des conditions extrêmement difficiles.Et il est mort dans des conditions non encore complètement élucidées, lui et ses compagnons.Mais leur place en aucun ne devait être, ne pouvait être à Kidal.J’ai même entendu dire que quand la mort de Fily Dabo a été annoncée au président Modibo Keïta, ça a été un moment extrêmement dur et pénible pour lui.Evidemment je n’ai jamais eu l’occasion de l’interroger moi-même directement sur ce drame que notre pays a connu.Parce que Fily Dabo et Hamadoun Dicko ont été des grands soudanais, ont été des grands maliens.Et je pense que notre pays a eu beaucoup de difficulté, nos hommes politiques ont eu beaucoup de difficulté à gérer le pluralisme, à gérer la différence.La logique du parti unique, l’uniformité a prévalu, et au nom de ça, on n’a pas été souvent tolérant par rapport aux différences.Voyez par exemple – c’est des questions psychologiques – Hamadoun Dicko a été ministre dans des gouvernements français très jeune, à l’âge de 30-32 ans.Fily Dabo a été ministre.Quand au lendemain de l’indépendance ceux-ci se sont retrouvés presque sans emploi alors qu’ils s’attendaient à certaine considération, évidemment cela n’a pas facilité les échanges, cela n’a pas facilité les rassemblements.Il faut dire aussi que ce n’était pas la même culture politique, ce n’était pas la même culture politique.C’était la SFIO, Fily Dabo ;C’était la SFIO, Hamadoun Dicko, à un moment donné.Donc ça n’avait rien à voir avec une culture marxiste à l’époque.Ils étaient dans le grand nord, il faut le dire, soumis souvent à des travaux forcés.Mais gardant leur dignité jusqu’au bout.Une simple anecdote qui m’a été rapportée par quelqu’un qui était dans le camp en même temps qu’eux mais dans un autre rôle : quand ces détenus par exemple qui étaient astreints au transport d’eau roulaient des barriques, un d’entre eux s’est blessé, dans le cas de Hamadoun, quand il s’est blessé évidemment il saignait.L’infirmier a voulu le soigner, il l’a envoyé paître.Avec beaucoup de dignité ;«si vous m’avez emmené ici, évidemment vous en subirez les conséquences».

L’échec de la Fédération du Mali

Alpha Oumar Konaré

Je ne reprendrai pas l’explication officielle que certains des protagonistes ont donné, qui pour ma part était facile, même si c’est vrai qu’une fédération à 2 est compliquée, n’est pas facile.Je pense qu’à la base de l’éclatement de la Fédération du Mali, il y avait certainement des causes internes.Les causes internes c’est que les équipes sénégalaises et soudanaises n’avaient pas exactement le même parcours politique, la même culture politique.Les hommes politiques sénégalais n’ont pas été marqués autant que les soudanais par la culture marxiste, par la culture communiste, même si cette culture ne leur était pas étrangère.Mais l’organisation politique au Soudan a été très influencée par le moment communiste.Par exemple pour beaucoup de cadres politiques maliens à l’époque, la séparation des pouvoirs n’avait pas de sens !Ca veut dire que la justice était au service du Parti.La séparation des pouvoirs n’avait pas de sens, alors sur cette question je pense que c’est une différence d’approche des Sénégalais.Donc il y a eu des événements politiques au Soudan, leur traitement a quelque peu effrayé les Sénégalais.Quand par exemple à Ségou en 1959 à la suite de manifestations qui avaient conduit, il faut le dire, à la mort d’agents au service de l’Etat, de commissaires de Police, la répression a été violente.Parce qu’on a même détruit un village.Les Sénégalais ont été quelque peu effrayés par ça, parce qu’ils se rendaient compte que face à eux ils avaient des hommes plein de rigueur, très rigoureux sur les principes.Donc je pense que cette forme de rigueur ne mettait pas à l’aise les dirigeants politiques sénégalais.Et cette conception politique de l’Etat était aussi une différence et je pense que il y avait une différence aussi dans l’approche de la fédération.Est-ce qu’il fallait un Etat centralisé ou est-ce qu’il fallait laisser de l’espace aux territoires qui constituaient la Fédération du Mali ?Ce problème n’a pas eu le traitement de mon point de vue qu’il fallait, il y a eu une grande ambiguïté et je puis dire que certainement au niveau du Soudan, la préférence aurait été certainement pour un Etat centralisé.Donc il y avait véritablement des causes politiques internes liées à la différence de culture politique, liées aussi même au comportement politique – les Soudanais avaient beaucoup de rigueur sur certaines questions, ils étaient beaucoup plus inflexibles.Mais il ne faut pas exclure non plus que des questions de politique extérieure aient pu jouer.Le Soudan a été très engagé aux côtés des Algériens dans la lutte de libération nationale.Le territoire soudanais à l’époque a servi de base de repli au FLN.C’était un problème par rapport au Sénégal.Nous avions par rapport à la Chine populaire de l’époque, parce que dès octobre 1960, le Soudan, le Mali va reconnaître la Chine populaire, il y avait une différence d’appréciation.Par rapport aux essais atomiques aussi, français, qui se déroulaient au Sahara, les Soudanais avaient une position inflexible d’hostilité par rapport à ça.Et je pense que les Français n’étaient pas très à l’aise avec l’équipe dirigeante soudanaise et que de façon générale l’exemple du Soudan, l’exemple de la Fédération du Mali ne convenait pas aux Français et certainement aussi à des hommes politiques africains qui étaient très proches à l’époque du Soudan.Le président Félix Houphouët-Boigny avait fait le choix de la balkanisation ;c’était difficile pour lui de voir un processus de fédération marcher en dehors de lui.

Le Panafricanisme

Alpha Oumar Konaré

La Fédération du Mali a été un grand moment.Pour moi, je ne me suis jamais consolé de l’éclatement de la Fédération du Mali.Tout au long de ma carrière politique j’ai pensé que le Mali et le Sénégal actuels devaient être ensemble.Tirer les leçons de la Fédération du Mali, mais relancer, être les chevaux de proue d’une nouvelle initiative, peut-être avec la Guinée, peut-être avec la Mauritanie à l’époque.D’ailleurs ça avait commencé avec l’ORS, l’Organisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal, c’était un noyau, un noyau qui aurait pu être un noyau dynamique dans le cadre par exemple de la CEDEAO.Mais malheureusement on n’a jamais pu faire cela.La Fédération du Mali a été un moment qui nous a beaucoup marqué, mais notre combat pour le panafricanisme, vous l’avez vu, est parti de loin.Je vous ai parlé… Bon il y avait le fait…Pour tout Malien, les espaces, les expériences multiples font partie de notre vie.Comme je vous ai dit, dans ma famille, c’est pluriel.L’empire du Ghana c’était pas étranger pour nous.L’empire du Mali, c’était pas étranger pour nous.Le Songoï tous les Maliens ont vécu ces épisodes là, avec d’autres.Donc déjà à ce niveau là c’était extrêmement marquant pour nous.Mais au-delà de ça, toutes les expériences que nous avons tentées sous le régime colonial, c’était dans le sens de l’intégration.Le Rassemblement Démocratique Africain, vous voyez bien «Rassemblement Démocratique Africain», c’est tout un programme.Mais au-delà du Rassemblement Démocratique Africain, même les autres qui n’étaient pas dans le Rassemblement, le Parti de regroupement africain, le PRA, autour de Fily Dabo, c’était aussi pour l’intégration, le Parti Africain de l’Indépendance, c’était aussi pour l’intégration.Le Mouvement de Libération Nationale avec Ki-Zerbo, c’était aussi pour l’intégration.Donc à partir d’un certain moment, nous avons très vite dépassé les partis «clochers» pour être dans des dynamiques de partis d’intégration.C’est ce qui a fait que le Mali n’a jamais milité pour la balkanisation ;notre souhait avait été de préserver l’AOF, et d’aller unis à l’indépendance.D’ailleurs c’est une des explications que les dirigeants du RDA ont donné, pour justifier leur option pour le oui au référendum : c’est-à-dire pas l’indépendance avant l’unité, unissons-nous d’abord pour aller à l’indépendance.Modibo Keïta au moment du coup d’Etat, traversait des phases de difficultés.

Le Coup d’Etat de 1968

Alpha Oumar Konaré

Modibo Keïta, au moment du coup d’Etat, traversait des phases de difficultés.Il avait son prestige, il était respecté, mais certaines des actions étaient très critiquées, il faut le dire.L’action des milices était très critiquée.Le pays, il faut le reconnaître, traversait des difficultés économiques, et le parti d’Union Soudanaise, il faut le reconnaître, connaissait une crise interne depuis le congrès de 1962, qui a conduit l’Union Soudanaise à opter pour le socialisme scientifique.La base sociologique de l’Union Soudanaise n’allait pas dans le sens du socialisme scientifique.D’ailleurs vous savez, une des ironies de l’histoire c’est que certains des grands militants de l’Union Soudanaise RDA, certains des grands financiers de l’Union Soudanaise RDA, se sont retrouvé aux côtés des partisans de Fily Dabo et de Hamadoun en 1962, pour protester contre la création du franc malien.C’était des commerçants soudanais, c’est eux qui ont fait la fortune de l’Union Soudanaise, mais quand on a fait le choix des sociétés d’Etat, du franc malien, sans préparation, sans explication, cela a heurté directement les intérêts de la base d’une bonne partie de l’Union Soudanaise RDA.Un des grands leaders, un des grands commerçants à l’époque, Kassoum Touré, El Hadj Kassoum Touré, connu comme un grand militant de l’Union Soudanaise, s’est retrouvé sur les mêmes bancs que Fily Dabo.Fily Dabo, il a été condamné, il a aussi été envoyé dans le nord, il est aussi mort dans le nord.Voyez sur quelle méprise tout ça a démarré ;sur quelle incompréhension tout cela a démarré.Donc en 1968, le Parti était en crise, le pays connaissait des difficultés économiques, c’est ce qui explique d’ailleurs qu’en 1967 nous soyons revenus dans la zone monétaire CFA, nous avons signé des accords monétaires avec la France.Et puis, socialement, il y avait quand même ce problème des milices qui étaient ici.Et quand il y a eu le coup d’Etat de 1968, il ne faut pas nier qu’une bonne partie, une bonne partie de la population a applaudi.Parce que pour eux c’était la fin des milices, c’était la fin d’une certaine rigueur.Mais ils ont applaudi parce qu’ils ont pensé que c’était un tournant pour un vrai changement.Mais quelque temps après, leur opinion sur Modibo a changé.C’est-à-dire ils ont reconnu en Modibo le leader qu’il était.Mais je pense qu’il reste quand même pour nous à faire un bilan critique, mais de façon froide, je dis bien de façon froide, de ce qui s’est passé.Le 19 novembre 1968, une confidence – j’étais étudiant.Je me suis levé le matin, et à la radio, il n’y avait pas d’émission, nous avons dit «qu’est-ce que ça veut dire ?»Evidemment, on a pensé à tout à l’époque, sauf à un coup d’Etat militaire.Je me suis levé et, j’avais une grosse moto, j’ai pris ma moto avec un de mes camarades, nous avons pris le chemin de l’école normale supérieure.Arrivés en centre ville, nous avons été arrêtés, nous ne pouvions plus continuer, je me suis arrêté et j’ai vu des leaders de l’Union soudanaise qui comme nous ne…comme nous étaient aussi en train de regarder ce qui se passait.Des militaires qui commençaient à se positionner dans les rues par ci par là.Et j’ai dit, je me souviens bien, à cet ami «mais si c’est ça un coup d’Etat militaire, moi…on ne fera jamais un coup d’Etat militaire», parce que en réalité tout s’est déroulé sous nos yeux.Voyez-vous, si le parti était dans sa forme habituelle et que l’Etat était là, je suis persuadé que ce coup d’Etat n’aurait jamais marché, et il faut le dire, que ce coup d’Etat a été rendu possible par le fait de jeunes officiers.Parce que en réalité la haute hiérarchie de l’armée a été pendant longtemps maintenue en suspicion, parce que c’était surtout des gens sortis de l’armée française donc c’était une espèce de suspicion.Donc le pouvoir au sein de l’armée n’était pas véritablement entre les mains des officiers supérieurs qui étaient tenus en suspicion.D’ailleurs, le chef d’Etat-major de l’époque dira que ce qu’il a appris en détention, s’il le savait avant il n’y aurait jamais eu de coup d’Etat.Donc c’est les jeunes lieutenants, et les jeunes lieutenants, celui qui était à la tête des jeunes lieutenants était le responsable de la formation militaire de la milice populaire.Donc là où la réaction aurait dû venir en cas de coup d’Etat, elle ne venait pas parce que c’est celui-là même qui était à la tête du mouvement des lieutenants et des capitaines le 19 novembre 1968.Je rends ces faits.A mon avis nous devrions avoir un exercice collectif avec beaucoup de distance pour expliquer ce qui s’est passé en 1968, ne pas nier la réalité de ce qu’il y avait comme difficulté, parce que pour moi cela n’enlève rien à la grandeur du président Modibo Keïta.Cela n’enlève rien à ce qu’il a voulu faire pour le Mali, cela n’enlève rien à la vision de cet homme politique pour le Mali et pour l’Afrique, au contraire.Cela doit nous conduire, de façon critique, à créer les conditions pour que ces grands choix puissent nourrir les chantiers d’aujourd’hui et les chantiers de demain.Si nous ne faisons pas cela, je pense que nous ne rendrons ni service au président Modibo Keïta – parce que je suis persuadé qu’à la veille du coup d’Etat, il avait une conscience très nette des difficultés dans lesquelles le Mali se trouvait, sinon comment expliquer que le 19 novembre, alors qu’il avait la possibilité de rebrousser chemin (parce qu’il était dans le bateau), d’aller à Ségou, de préparer la défense,Ou même, quand il est arrivé à Koulikouro, d’organiser une défense à Koulikouro, au lieu de lancer un appel pour l’histoire, en disant «dans tous les cas, c’est à vous jeunes que je ramène la révolution»,il aurait pris lui-même les devants, je pense qu’il avait conscience des véritables difficultés qu’il y avait et qu’il sentait le besoin qu’il y ait une pause pour que le peuple le comprenne mieux et comprenne mieux dans quel sens nous devions aller.Vous savez il est resté dans l’histoire politique du Mali une question essentielle qui doit être chaque fois résolue : comment gérer le pluralisme, comment gérer les différences dans la vie politique de notre pays ?

La mort énigmatique de Modibo Keita

Alpha Oumar Konaré

Modibo Keïta a été interné pendant longtemps dans le camp de Kidal.Dans des conditions extrêmement difficiles.Il va mourir à Bamako, au camp des paras de Bamako, dans des circonstances non encore éclaircies, de toute évidence probablement pas de mort naturelle.J’espère que le temps nous permettra, avec le témoignage des uns et des autres, de savoir dans quelles conditions Modibo Keïta est véritablement mort.Sinon j’espère que la science permettra, sans gêner les religions ou les coutumes, de savoir dans quelles conditions Modibo Keïta est décédé.Parce que dans nos pays, à cause des problèmes religieux et des pesanteurs sociologiques, il ne peut pas être question aujourd’hui de reprendre des autopsies ;ce n’est pas envisageable dans le contexte politique du Mali et ce n’est peut-être même pas une nécessité historique aujourd’hui, mais il faut espérer que le temps permettra un jour de faire des investigations pour savoir exactement dans quelles conditions ce grand africain est mort.

Konaré et ses relations avec Moussa Traoré

ALPHA OUMAR KONARÉ

Faire le portrait de Moussa Traoré est une tâche très difficile pour moi.Parce que j’ai accepté à un moment donné d’être le ministre de Moussa Traoré.Son appréciation et son jugement, je préfère vraiment les laisser à d’autres.Au peuple malien et à l’histoire.Ce que je peux vous dire c’est que s’il a été choisi pour encadrer la milice, par le président Modibo Keïta et son équipe, c’est que certainement il avait certaines qualités, sinon il n’aurait pas été choisi pour encadrer la milice en ce moment là.Se sont-ils trompés ?Se sont-ils fiés simplement à la valeur militaire ?Se sont-ils mépris sur son engagement politique ?Parce que dans nos pays, quand il n’y a pas d’espace de liberté, quand il n’y a pas d’espace d’expression, vous savez tous les chats sont noirs !Parce que chacun tiendra le discours qu’il faut pour passer le chemin sans que ce soit un véritable engagement.Je préfère donc laisser à l’histoire et à d’autres de porter un jugement sur Moussa Traoré.Ce que je peux vous dire simplement c’est que de mes relations avec lui…c’est que mes relations avec lui ont été des relations empreintes de beaucoup de respect, il faut le dire.Nous venions de la même région, il connaissait bien mon père comme enseignant, avait beaucoup de respect pour lui, il a eu beaucoup de respect pour moi, même si, le temps passant, j’ai eu droit à certains appréciations négatives venant de lui, dans les conditions où il était.Mais je pense que ces appréciations n’étaient pas justes parce que tout le temps jusqu’à son arrestation il a eu un comportement très correct vis à vis de moi.Ceci n’a rien à voir avec l’appréciation que je pouvais avoir sur son action politique, sur son comportement, faisons la part des choses.Parce que souvent les gens ne savent pas faire la part des choses !

Ministre de la jeunesse sous le gouvernement de Moussa Traoré

ALPHA OUMAR KONARÉ

J’ai accepté en 1978 le poste de Ministre de la jeunesse, des sports, des arts et de la culture quand cela m’a été proposé par le président Moussa Traoré.C’était pratiquement un coup de tonnerre.C’était inattendu parce qu’on connaissait mes positions politiques, on savait aussi quels ont été nos démêlés avec le régime militaire…je dois vous dire d’ailleurs qu’au coup d’Etat le 19 novembre 1968, j’étais secrétaire général de la jeunesse de l’Union Soudanaise RDA de l’école normale supérieure ;j’étais membre d’un parti clandestin, le Parti Malien du Travail.Mon comité politique a été le seul au niveau de la République du Mali, à avoir engagé un mouvement de grève pour protester contre l’arrivée des militaires au pouvoir.Toutes choses que j’ai rappelées au président Moussa Traoré le jour où il m’a appelé pour que je sois membre de son gouvernement.Quand l’annonce de ma nomination a été faite, ça a été très mal reçu par beaucoup de mes amis, beaucoup de mes camarades politiques.Je dois vous dire d’ailleurs que l’accueil le plus dur a été réservé par ma propre femme !Quand je suis venu lui dire que je vais entrer au gouvernement, ah je vois encore sa mine, sa mine des mauvais jours.Demandant : «qu’est-ce qui t’a pris ? Qu’est-ce qui arrive ?»Manifestant son opposition au choix que j’avais fait, et il a fallu du temps pour qu’elle comprenne.D’ailleurs je crois qu’elle a eu toujours des difficultés pour comprendre.Parce que le jour où je suis venu lui dire, deux ans après, que je quittais le gouvernement, je ne l’ai jamais vue aussi radieuse, je l’ai vue avec un sourire large, mais très heureuse que je quitte le gouvernement !C’était une décision personnelle, je n’ai pas décidé d’entrer au gouvernement en accord avec des amis proches.J’étais membre d’un parti politique clandestin, marxiste !A gauche de l’Union soudanaise.Parce que nous étions critiques vis à vis de l’Union Soudanaise.Je ne suis pas entré pour faire de l’entrisme, parce que cela a été dit à l’époque : «il est entré pour manipuler» – pas du tout !Ce n’était pas la soif d’un portefeuille ministériel aussi qui me guidait.Je vous dis bien nous étions en 1978, 1978 c’était un moment très important dans la vie politique du Mali.Vous avez parlé des crises qu’il y avait au sein du comité politique militaire parce que vous avez bien indiqué toutes les purges qui ont eu lieu, mais en réalité, dès le premier mois du coup d’Etat, il y avait des dissensions.Ils ont essayé de colmater, colmater, colmater, colmater, il y a eu des purges successives, mais en 1978, ça a été une explosion.Ceux qui étaient considérés comme les durs, les faucons du régime, ont été mis à l’écart le 28 février 1978.Ce jour-là, ça a été une explosion de joie, à Bamako et partout en République du Mali.Comme l’annonce d’une libération, d’une renaissance.Des promesses de faire autrement, des annonces de la reprise d’activité politique.Il y avait un bouillonnement et j’ai pensé que l’occasion était bonne d’accélérer les choses, que nous étions à un tournant et qu’il pouvait être possible pour moi de m’adresser aux jeunes, de mobiliser les jeunes, de demander aux jeunes de ne plus accepter ce qui se passait avant, de demander aux jeunes de prendre leur destin en main, ce que j’ai fait tout au long de ma présence au sein du gouvernement.Et je crois que cela a été utile.Vous savez au Mali jusqu’en 1978, on ne pouvait pas parler d’activité politique, on ne pouvait pas parler d’idéologie parce que tout de suite on pensait au marxisme.Mais à partir de mon entrée au gouvernement, voilà des débats qui n’étaient plus tabous.Les jeunes se sont mis en marche, ils ont décidé de prendre leur destin en mains, mais bien sûr l’aventure n’a pas continué parce que très vite j’en ai vu les limites.J’ai vu que seule une action personnelle…j’allais être broyé par le système en face.Parce que dès que je suis entré au gouvernement, quelques temps après, les problèmes ont commencé avec les jeunes.Sur beaucoup d’incompréhensions et de méprises.Mais il y a une date très importante pour moi, qui m’a déterminé à ce que je quitte le gouvernement ;c’est qu’en juin 1979 les jeunes, bien encadrés il faut le dire par les étudiants à l’époque, ont déclenché une grève.La jeunesse même du parti même que nous venions de mettre en place ont déclenché une grève pour protester contre la tenue à Tombouctou du procès de ceux qu’on avait arrêtés le 28 février 1978.Ils avaient souhaité que le procès ne se fasse pas à Tombouctou.Ils avaient même demandé – je dois dire que la promesse ne leur a jamais été faite, que le procès allait se faire à Bamako, non, ce n’est pas vrai, le chef de l’Etat à l’époque les a écoutés et a dit «je vais voir» mais n’a pas dit que «le procès allait se faire à Bamako».Mais pour les jeunes, faire le procès loin de Bamako ne participait pas à la transparence.Il y avait une volonté de camoufler ou il y avait une volonté de chercher des boucs émissaires, mais à Bamako, au vu et au su de tout le monde, ça avait beaucoup plus de crédibilité.Donc quand le procès a commencé à Tombouctou, les jeunes du parti se sont mis en grève.Tout de suite.Moi, ministre de la jeunesse, c’était difficile pour moi.Parce que autour du chef de l’Etat, certains ont été jusqu’à nous accuser de duplicité, parce que j’étais en tournée à l’époque dans cette région, en disant «ah il savait que les jeunes allaient faire la grève.Il est parti pour que la bombe éclate derrière lui».C’est pas vrai.Pas du tout vrai.Je n’ai jamais fait de duplicité, je me suis toujours assumé.La vérité c’est que les jeunes aussi se sont assumés et ont déclenché la grève.Et j’ai compris que si je voulais éviter qu’il y ait une rupture entre les jeunes et moi, je ne pouvais pas continuer.Surtout que le chef de l’Etat venait d’annoncer aussi la création future d’un parti d’Etat.L’UDPM.Et là je n’étais pas d’accord.Je n’ai jamais milité au sein de ce parti, parce que j’ai estimé que la création de ce parti était un non sens, c’était une incompréhension de tout ce qui s’est passé dans la vie politique malienne.Parce que comme j’ai eu l’occasion de le dire à maintes reprises, dans l’histoire politique du Mali, la gestion du pluralisme a toujours été un problème.Vous savez qu’avant 60, on connaissait le pluralisme, il y avait plusieurs partis politiques.En 1959, en 1959, à la veille de l’indépendance, les divers partis volontairement ont accepté de fusionner pour adhérer à l’union soudanaise pour éviter les risques de division interne.Donc on est arrivé, d’un multipartisme, nous sommes arrivé à un parti unique de fait.Malheureusement, la gestion du pluralisme au sein de ce parti unique de fait a été presque impossible.Et d’ailleurs les velléités de manifestation en 1962 traduisaient déjà les ruptures politiques internes.Et en 1965, quand le président Kwame Nkrumah est tombé, l’Union soudanaise, de mon point de vue, n’a pas tiré la bonne leçon.Parce que en 1965 on a décidé d’accélérer la révolution active.Donc l’engagement vers le socialisme scientifique a été accéléré, alors que de mon point de vue en 1965 le Mali était déjà mûr pour le pluralisme et que le président Modibo Keïta savait qu’il y avait un parti clandestin sur sa gauche, le Parti Malien du Travail, et les partisans de Fily Dabo qui étaient organisés dans la clandestinité qui étaient sur sa droite.Donc l’Union Soudanaise aurait pu bien occuper sa ligne sociale-démocrate, laissant le Parti Malien du Travail sur sa gauche, et sur sa droite les partisans de Fily Dabo plus enclins au libéralisme etc.Je dois dire pour l’histoire une chose : le président Modibo Keïta savait que le Parti Malien du Travail existait, mais il n’a jamais engagé de répression contre le mouvement, le Parti Malien du Travail.A cause de l’estime qu’il avait pour les responsables de ce parti et il était persuadé que quelque part un jour, les cadres du Parti Malien du Travail comprendraient mieux son action.Parce que pour lui, la différence avec le Parti Malien du Travail c’est que le Parti Malien du Travail n’était pas dans l’exercice du pouvoir.Par contre ils ont sévi, plus que de mesure, contre les partisans de Fily Dabo Cissoko sur sa droite.Donc, voilà un peu comment le cheminement de la vie politique a pu se faire, comment je suis entré au gouvernement, comment à partir de la crise née au sein de l’Union nationale des jeunes et de l’union nationale…et de l’association des étudiants du Mali, dès juin 1979, j’avais pris la décision de quitter le gouvernement.Je m’en suis ouvert au chef de l’Etat mais lui laissant le choix de décider de cela au cours d’un remaniement ministériel.Mais c’est une décision que j’ai prise dès juin 1979 mais qui ne se concrétisera qu’en août 1980.Mais dès juin 1979 j’avais tiré les leçons de la décision personnelle que j’avais prise qui avait montré ses limites.Et alors on m’a posé la question « Est-ce que si vous aviez à refaire vous referiez ?»C’est une belle question.Certainement pas dans les mêmes conditions.Je pense que nous aurions dû, je dis bien nous aurions dû, dès cette époque, assurer notre présence à travers nos formations politiques.

Parti unique et opposition

Alpha Oumar Konaré

L’opposition était dans la clandestinité.Nous avons été réduits à la clandestinité depuis que les partis uniques ont commencé à s’imposer.Dans les années 1959-1960, il y avait peut-être une explication.L’avènement à l’indépendance devait se faire dans de bonnes conditions d’unité nationale, d’entente.Cela a été à la base des dynamiques de parti unique.Par exemple au niveau du Soudan, du Mali à l’époque, le parti de Fily Dabo est venu tout naturellement à l’Union Soudanaise.Mais j’ai eu l’occasion de lui dire que de mon point de vue, déjà dès 1962-1965, c’était une époque dépassée.Et que déjà en 1965 le Mali pouvait décider d’aller vers le multipartisme.La crise politique que l’Union Soudanaise a connu de 1962 à 1968 indiquait bien les querelles d’intérêts.Il fallait laisser ces intérêts s’exprimer dans des partis différents.Le coup d’Etat a marqué une rupture de la vie politique partisane.Mais je pense que les auteurs du coup d’Etat n’ont pas bien analysé les raisons pour lesquelles le Mali était en crise.Quand il y a eu le coup d’Etat il y a eu un acte fondamental qui était un peu la constitution.Qui bien sûr proclamait le multipartisme.Mais le premier geste des militaires, dès qu’on est sortis de cette phase, qui devait durer un an mais qui a duré presque deux décennies, ça a été de revenir à l’esprit du parti unique, mais de façon plus draconienne.Parce que l’Union Soudanaise était un parti unique de fait, mais l’UDPM est devenu un parti unique de droit.Un parti Etat.Et toutes les crises politiques nées après, jusqu’aux événements du 26 mars 1991, ça a été la bataille pour le pluralisme.Pour l’expression des différences.Donc pour moi, le pays, à partir des premières années de l’indépendance, était mûr pour aller au pluralisme.Il fallait en définir les règles, il fallait en définir les cadres, il fallait en définir les conditions d’expression.Et à défaut de ça, comme nous ne l’avons pas eu, il y a eu plusieurs partis politiques clandestins qui se sont créés.Mais le problème qu’il y a c’est que pendant longtemps dans ces partis politiques clandestins nous étions dans l’opposition et je ne crois pas (c’est un débat qui mérite d’être engagé par tous les militants de l’ombre de cette époque-là), notre position politique ne s’exprimait pas pour l’affirmation d’un pluralisme, mais c’était plutôt pour le départ du régime en place.Mais à partir du moment où nos pensées politiques ont mûri, nous nous sommes inscrits dans une bataille du pluralisme, parce que au Mali à partir des années 89-90, quand la bataille pour le pluralisme s’est accélérée, nous n’avions jamais demandé que l’UDPM disparaisse, mais nous avons souhaité que l’UDPM permette que d’autres partis politiques s’expriment.Donc à partir du moment où les partis clandestins ont inscrit leur bataille dans la lutte pour le pluralisme, alors les boulevards de l’avenir se sont ouverts.Je ne peux même pas généraliser, parce que il y a des pays africains qui ne sont pas passés par la phase du parti unique.Il y a des pays africains qui ne sont pas passés par la phase du parti unique.Très peu.Mais on pouvait expliquer le parti unique les premières années de l’indépendance.Mais quand les crises politiques ont commencé à apparaître, et que ces crises politiques est le reflet de divergences de points de vue d’intérêts, ça veut dire qu’il y avait de l’espace pour créer, laisser se créer d’autres partis politiques.C’est ça qui ne s’est pas produit et c’est ça qui s’est traduit par…j’allais dire c’est ça qui a aiguisé les contradictions et ça a conduit au coup d’Etat militaire parce qu’il n’y avait pas d’autre possibilité de changer de régime.Et les coups d’Etat militaires c’était une tragédie, parce qu’en Afrique entre 1956 et l’an 2001, il y a eu plus de 180 coups d’Etat et ça continue malheureusement encore.Ça veut dire que chaque fois que l’expression plurielle est bloquée, que la perspective de l’Etat de droit n’existe pas, il faut s’attendre à ce moment qu’il y ait des coups d’Etat, et les coups d’Etat ne sont pas des solutions, surtout si ces coups d’Etat interviennent et que ceux qui les font s’inscrivent dans la dynamique de la culture unique et du parti unique.

La démocratie en Afrique

Alpha Oumar Konaré

Pour moi il y a une seule démocratie.Qui repose sur des valeurs et des principes universels.L’Etat de droit.La défense des droits de l’homme.La défense des libertés individuelles.La défense du pluralisme, de l’expression plurielle.Pour moi il s’agit là de valeurs universelles.Mais ceci dit, la traduction de ces valeurs universelles, de ces principes universels épouse les contours culturels historiques de chaque pays.C’est ma conception.Il n’y a pas de démocratie africaine.S’il y a une démocratie africaine qui jure avec la bonne gouvernance c’est pas une démocratie.S’il y a une démocratie africaine qui jure avec l’Etat de droit, c’est pas une démocratie.S’il y a une démocratie africaine qui jure avec les droits de l’homme, préserver la vie, préserver l’intégrité physique, c’est pas les droits de l’homme, c’est pas la démocratie.S’il y a une démocratie africaine qui jure avec libertés individuelles, ce n’est pas une démocratie.Ceci dit, dans son affirmation, dans son expression, dans sa mise en oeuvre, les contours historiques, les traditions culturelles interviennent certainement.On ne peut pas plaquer ce qui se fait exactement dans des pays européens dans des pays africains et même souvent entre pays africains il y a certainement des différences.

Printemps 1991 : en marche vers le multipartisme

Alpha Oumar Konaré

Les événements dramatiques de 1991, de janvier, février et mars 1991, auraient pu être évités, si ce n’était pas l’entêtement, l’obstination du régime, à maintenir ses positions suicidaires.Nous n’avons jamais demandé le départ, au début le départ du président ni de son gouvernement.Nous n’avons jamais demandé à ce que l’UDPM, le parti unique, soit supprimé.Mais nous avons demandé à ce qu’on autorise la création d’autres partis.C’est ça qui a été vraiment l’objet de notre combat…Vous savez, depuis… ça a commencé assez tôt ;depuis toujours nous nous sommes battus pour ça.Dans la clandestinité – le régime ne pouvait pas ne pas savoir qu’il y avait des mouvements clandestins.Ils le savaient.Ils en connaissaient même un certain nombre de leaders.Mais je pense qu’ils pensaient pouvoir les contenir.Ils ne voyaient pas la force dynamique que nos choix comportaient.Sinon déjà le 25 mai 1990, il y a le front national démocratique et populaire du Mali qui regroupait un certain nombre de partis de la clandestinité qui avait lancé un appel aux Maliens.C’était un événement important.3 jours après, le 28 et le 29 mai 1990, pour la première fois, l’union nationale des travailleurs du Mali – qui était proche pourtant du régime, au nom de la participation responsable – a demandé le multipartisme.Le pouvoir n’a pas voulu les écouter.Et maintenant, le 9 août 1990, il y a eu cette lettre ouverte et à partir de cette lettre ouverte, les signataires de la lettre ouverte se sont organisés dans des associations démocratiques.Le Congrès National d’Initiative Démocratique, le CNID, et l’Adema, qui était l’organisation à laquelle j’appartenais, l’Alliance pour la Démocratie Malienne, ces deux formations se sont rapproché, ont essayé d’harmoniser leurs positions à travers des meetings, à travers des marches.L’Alliance pour la Démocratie Malienne, l’Adema, a beaucoup privilégié au début les meetings.Pour sensibiliser les gens.Pour que les gens n’aient pas peur en cas de réflexion.Le Congrès d’Initiative Démocratique, dès le début, a entamé les marches.Nous étions un peu sceptiques.Dès la première marche, nous avons compris que les marches étaient, comment dirais-je, un mode d’action qui convenait à la jeunesse et aux populations.Et nous avons à ce moment-là avec le CNID fait des marches ensemble, fait des meetings ensemble, et un des grands meetings a été le meeting du 30 décembre 1990 qui a culminé et qui a été une grande marche pour revendiquer le multipartisme.Ce jour-là, il y a eu une contraire marche du régime qui n’a absolument rien donné et qui était dérisoire, qui indiquait très clairement ce jour-là ce que le peuple malien souhaitait.Et par la suite les diverses déclarations du régime n’ont pas été des discours d’apaisement.Le régime a essayé vers la fin du mois de mars d’organiser un congrès du parti mais nous n’avions pas confiance en ce congrès pour décider, comment dirais-je, du choix du multipartisme.Nous pensions que les données étaient très claires parce que au sein même de l’UDMP, des voix importantes s’étaient levées pour qu’on autorise le pluralisme.Mais il y avait un noyau fortement entêté qui a conduit le régime jusqu’à son suicide.

Répression, chute de Moussa Traoré

ALPHA OUMAR KONARÉ

La répression a été féroce pendant des jours.Parce que devant les mouvements de jeunes qui envahissaient les rues de jour et de nuit, les tanks ont été sortis, les militaires sont venus à la rescousse des policiers, et d’ailleurs il faut dire qu’à l’époque la police était militarisée et avait des armes.Donc la confrontation a été terrible.Les jeunes les bras nus, les femmes les bras nus, ont été fauchés par les armes.Il y a eu plus de 300 morts.Ça a été terrible.Il y a eu un vendredi noir à Bamako.Et à partir de ce moment-là, à partir de cette répression féroce, la cause était entendue.Je dois vous dire que la répression a été très forte, tout le monde était désemparé, et on était surpris de la surdité du régime.Ou de l’aveuglement du régime.J’ai parlé tout de suite de suicide.En réalité les militaires sont venus parachever les luttes populaires des associations démocratiques.En réalité c’est des militaires proches du régime qui se sont très vite rendu compte que le pays n’était plus géré normalement et correctement par le chef de l’Etat.Et que probablement des influences fortes s’exerçaient sur lui et que si on n’arrêtait pas, comment dirais-je, la machine, la machine infernale allait broyer tout sur son passage.Ce sont ces militaires-là qui sont sortis, qui ont déposé le président Moussa Traoré, bien sûr en concertation, après en avoir informé le mouvement démocratique.Evidemment il y a eu beaucoup de flottement le 26 mars, parce que beaucoup d’officiers étaient là.Ça a été un compromis, un compromis entre divers officiers, certains qui étaient même dans la répression et tout.Mais l’élément déterminant qui a fait que le mouvement, les associations, ont fait cause commune avec les militaires, c’est tout de même la forte personnalité du président Touré, que nous connaissons très bien, qui était lieutenant colonel à l’époque, qui était le chef du camp para et qui était chef aussi, il faut le dire, de la garde présidentielle mais que nous connaissions bien par proximité.Je dois d’ailleurs vous dire que pendant ces jours d’épreuves, nous nous interrogions beaucoup – «comment l’armée malienne, les officiers que nous connaissons, pouvaient laisser la répression s’abattre comme ça sur les populations ?»Nous nous sommes beaucoup posé cette question là.La réponse nous est venue dans la soirée du 25 au 26 mars.Je le dis parce que le mouvement populaire, les associations démocratiques, et les organisations politiques n’ont jamais été dans une logique de putsch militaire.En tout cas, les associations que nous connaissions.Les partis qui étaient dans la clandestinité que nous connaissions n’ont jamais été dans la logique d’un putsch militaire.Je peux vous le dire parce que j’ai pas porté ce témoignage ailleurs, il est arrivé que dans les années 1982-83-84-85, nous-même personnellement, nous ayons été contactés par des militaires.Au vu de faire un coup d’Etat.Des militaires qui en avaient ras le bol et qui sont venus nous voir pour nous dire «nous sommes prêts aujourd’hui à faire un putsch militaire mais vous demandons de venir prendre la tête du mouvement ».Notre réponse a été claire : nous avons dit à ces militaires que nous nous n’étions pas des putschistes.Et que nous associer à des putschistes serait terrible pour nous parce que toutes les expériences que nous connaissons, les civils se font par la suite broyer.Si nous avions un conseil à leur donner c’est de s’organiser et que nous menions dans l’harmonie la bataille politique.Bien sûr la position que j’ai exprimée était aussi la position du Parti Malien du Travail, qui n’était pas dans une logique putschiste.Et bien sûr cette situation a duré pendant des années sans que nous ayons jamais été dénoncés par eux ;sans que eux non plus nous aient dénoncés.Il s’est trouvé par le fait des circonstances que certains d’entre eux, que nous connaissions comme étant parmi les officiers qui souhaitaient faire un putsch se soient retrouvés aussi dans le mouvement du 26 mars qui a amené le CTSP au pouvoir.Le CTSP c’était un regroupement pas simplement de militaires.Parce que toutes les associations démocratiques étaient représentées au sein du CTSP.Le syndicat était là ;l’association des étudiants était là et les grandes organisations de jeunesse et les grandes organisations démocratiques étaient représentées.Le CTSP avait tout le pouvoir, le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif.Durant la période de transition.

Le procès de Moussa Traoré

Alpha Oumar Konaré

C’est une question importante, surtout aujourd’hui nous entendons souvent des gens dire «en Afrique on n’a jamais jugé de chef d’Etat, en Afrique on ne peut jamais juger de chef d’Etat», ça n’est pas vrai.Cela a été fait mais dans des conditions d’honneur, j’allais dire de respect.Ces procès ont été des moments très difficiles et très douloureux pour nous.Pour le peuple malien.Parce que tout le monde se connaît au Mali.C’est quand même un pouvoir qui a été en place pendant plus de 20 ans.Ce n’est pas facile de juger un tel pouvoir.Un tel régime.Et pour nous qui étions au pouvoir, nous avions l’ardente obligation de faire le procès pour qu’on puisse tourner une page de l’histoire du Mali.Pour indiquer… et ce procès a été transparent.A aucun moment il n’y a eu de pression sur ceux qui étaient à la barre.Ils avaient la latitude de tout dire.Ils pouvaient accuser le chef de l’Etat que j’étais, ils pouvaient tout dire.Le premier procès a été transmis à la télé et à la radio, le second a été retransmis à la radio, l’accès au lieu du procès était absolument libre.Mais nous n’en avons pas fait une publicité.Parce que pour nous il n’y avait pas de compte à rendre.Il n’y avait pas de compte à régler.Et surtout il n’y avait aucune raison de chercher à humilier quoi que ce soit.C’était un besoin de faire justice qui a été fait.J’espère simplement que ceux qui ont subi cette épreuve, ceux qui ont subi, qui étaient de l’autre côté de la barre, comprendront que c’était une nécessité, comprendront que c’était une exigence, comprendront que le procès n’était pas une injustice à leur endroit.Que le procès n’était pas une agression à leur endroit.Que le procès était une exigence de justice pour ceux qui sont morts.Pour ce peuple qui s’est battu.J’espère qu’ils le comprendront parce qu’à un certain moment, nous avons eu le sentiment que certains ne le comprenaient pas.Ça veut dire qu’ils ne comprennent pas le sens des événements qui se sont déroulés.Et c’est dramatique que les gens ne fassent pas leur critique et leur autocritique.Ils n’en sortiraient que grandis.Ce sera dans le plus grand bénéfice de ce peuple, et pour eux ce ne sera en rien une humiliation.Ce serait aussi tirer les leçons d’un entêtement.Ce serait aussi tirer les leçons d’une obstination ;d’erreurs et de fautes qui ont pu être commises.C’était le devoir du gouvernement démocratique qu’il y ait ce procès.Dans le respect.Parce que ceux qui étaient de l’autre côté de la barre ont quand même représenté quelque chose pour le Mali et le peuple malien, quoi qu’on en dise.Il ne pouvait pas être question de les humilier.C’est pour cette raison que nous n’en avons jamais fait une publicité.Mais il faut que dans le recueillement ;il faut que dans l’humilité, nous en tirions les leçons pour l’avenir.

entretiens.ina

Partie 2/3