16 avril 2024

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Thomas Sankara l'ancien dirigeant Burkinabais

Affaire Sankara : un procès pour l’exemple

CHRONIQUE. Le procès qui vient de s’achever à Ouagadougou ne vaut pas que pour le nom de la victime, il vaut aussi et largement pour sa qualité.

Trente-cinq ans après son assassinat, Thomas Sankara peut se détendre dans sa tombe et, pour l’éternité, dormir du sommeil du juste. La morale est sauve : justice est enfin rendue au Che Guevara africain. Ses millions de fans peuvent crier victoire, sa famille porter son deuil. Le soulagement général ne vient pas que de là. Il vient aussi et peut-être surtout de la manière exemplaire dont le procès a été conduit. Dans un continent coutumier de la loi du Talion et de ses procès expéditifs, la justice burkinabè s’impose aujourd’hui comme le modèle à suivre, ses magistrats comme les pionniers d’un système judiciaire africain qui se cherche.

L’espoir d’un changement d’époque

Ces messieurs ont su éviter deux aberrations récurrentes de nos tribunaux : le mensonge par omission et la complaisance. Un crime reste un crime, nul n’a le droit de l’oublier et la loi s’applique à tous, fût-on César ou Compaoré. Espérons que ce principe élémentaire du droit va se banaliser, que le procès de Ouagadougou annonce un changement d’époque.

Souhaitons que l’esprit de Ouagadougou fasse tache d’huile, qu’il nous incite à tirer un trait sur les mœurs douteuses du passé. Vivement une nouvelle atmosphère dans les salles d’audience de nos tribunaux ! Nous ne voulons plus d’une justice aux ordres. Nous ne voulons plus d’une justice à sens unique : tout pour les nababs, rien pour le populo. Personne n’est intouchable, nul n’est au-dessus de la loi ! Il faut en finir avec cet accord tacite qui veut que le chef ait toujours raison, qu’il a, comme les dieux, droit de vie et de mort sur ses administrés.

Souveraineté judiciaire retrouvée

Les Burkinabè en l’occurrence ont admirablement exercé leur souveraineté judiciaire. C’est une première. Ils ne se sont défaussés ni sur la CPI (comme dans le cas de Gbagbo) ni sur l’Union africaine (ce fut le cas avec Hissène Habré). Et surtout, ils ont brillé dans l’art de suivre la procédure et d’exercer le formalisme.

« Le formalisme est le grand frère de la liberté », dit l’adage. La présomption d’innocence de l’accusé a été respectée, toutes les garanties nécessaires à sa défense ont été assurées. L’avocat de la partie civile, Maître Guy-Hervé Kam, a eu raison de parler d’un procès au-dessus de la mêlée.

Haro sur les jaloux

« Les jaloux n’ont qu’à maigrir », comme cela se dit dans les bas quartiers d’Abidjan. Et ils sont bien nombreux les jaloux notamment en Éthiopie (on pense aux victimes d’Haile Mariam), au Congo (on pense à celles de Mobutu) et en Guinée.

Nul besoin de spécifier pour ce qui est de ce dernier pays : tous ceux qui s’y sont succédé au pouvoir ont régné par la terreur et par le sang. À ce jour, aucun d’entre eux n’a été jugé. Aucune de leurs victimes n’a été rétablie dans ses droits. Les 50 000 morts du Camp Boiro n’ont toujours pas bénéficié d’une sépulture, leurs fosses communes n’ayant même pas fait l’objet d’une recherche. Les massacres qui se sont déroulés au Stade du 28 Septembre ne seront jamais jugés. De côté-là, les Guinéens savent qu’ils n’ont rien à attendre.

En 1947, le poète et génial trublion guinéen Mamadou Traoré dit Ray Autra avait porté plainte contre la France pour « colonisation de mon pays ». Figurez-vous que si le plaignant fut débouté, le procès eut lieu et fut conduit selon les règles de l’art. Qui oserait porter plainte contre Sékou Touré, Lansana Conté, Dadis Camara ou Alpha Condé ?

Par Tierno Monénembo